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et même de l’autre côté de la frontière ; nous en rencontrons à chaque pas, ils nous interrogent sur le danger du retour. La panique a été extrême ; ils sont partis non avec ce qu’ils avaient de plus précieux, mais en prenant au hasard les objets qui étaient sous leur main. Telle famille rapporte une marmite, de grandes cuillers, une pioche, un garde-manger. Un vieux paysan serre dans ses bras une oie et une poule : hommes, femmes, enfans, tout le monde est chargé. Les plus avisés conduisent des voitures, traînent une vache ou un bœuf. Nous arrivons enfin à la frontière.

A la Grand’Haye, en Belgique, il s’est élevé depuis huit jours, autour d’une ferme, un véritable village improvisé ; des tentes grossières, des branchages, des cabanes de bois, des voitures abritent toute cette malheureuse population venue des villages français. Un chemin d’une heure et demie nous conduit à Muno. Le bourgmestre nous reçoit dans une vaste cuisine flamande ; le feu flambe dans le foyer, un beau morceau de beurre est déposé sur la table entre une poularde et une pile de serviettes blanches ; la maîtresse de la maison, ses enfans, ses domestiques, tout respire le bonheur. Un drapeau cloué sur un arbre à quelques pas d’ici, à la ligne frontière, suffit pour arrêter la désolation et la mort. Nous aurons une voiture ; Mme B…, qui a fui son château des Ardennes, nous prête la sienne : dans six heures, nous serons à Marbehan sur le chemin de fer, le lendemain dans l’après-midi à Bruxelles, le soir à Paris.

On nous donne quelques journaux, les premiers que nous ayons lus depuis notre départ de Paris ; mais toutes les nouvelles précises ne nous intéressent pas. Nous sommes comme le soldat, comme le paysan dans les contrées envahies, la fatigue physique et morale est trop forte. Demain, plus tard, nous lirons le récit de ces grands événemens au milieu desquels nous avons vécu, et dont nous ne savons à cette heure que des épisodes tous particuliers.


Je relis ces notes deux mois après l’époque où elles ont été écrites, j’ai peu de chose à y ajouter. Le comité international de France, pris à l’improviste au mois de juillet dernier, n’avait eu le temps ni de se faire connaître suffisamment, ni d’organiser sur tous les points les services multiples qui relevaient de lui. Dès le premier jour, il a fait beaucoup : du 4 août au 1er septembre, il a constitué dix ambulances de campagne qui ont rejoint l’armée. À cette heure, ses hôpitaux fonctionnent partout dans les provinces envahies. En même temps il créait à Paris un vaste système de secours, la charité publique a largement répondu à ses appels. Il suffit de voir le compte-rendu publié le 10 octobre par l’association pour juger des ressources dont elle a pu disposer, et combien elle a su en