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ses précautions avec Charles-Quint par des capitulations électorales soigneusement stipulées à la diligence des électeurs. Dans l’esprit de la vieille constitution germanique, la couronne impériale donnait droit au respect, à la vénération. L’empereur était une personne sacrée ; il était le chef de la chrétienté, son protecteur : il en portait le glaive. Il était la clé de voûte de la civilisation moderne ; mais la souveraineté administrative résidait dans le corps germanique. L’empereur avait donc peu de pouvoir effectif sur le territoire allemand, de ce pouvoir qui atteint l’homme privé, la commune, la seigneurie. Sur le sol allemand, l’empereur était un souverain constitutionnel ; il régnait dans une sphère élevée, idéale, mais il ne gouvernait pas. Il n’était que le président de la diète germanique, l’exécuteur de ses recez ou sentences, un souverain viager, élu par de petits souverains héréditaires qui, ayant pu l’élire, pouvaient le déposer. Les états d’empire représentés à la diète, souverainetés seigneuriales ou communales comptant par centaines, étaient autonomes en leur administration, ne relevant de l’empereur que par le lien féodal ou politique. Les capitulations électorales, garanties par le serment solennel de l’empereur, étaient le contrat réciproque des électeurs et de l’élu. Le règne de Charles V n’a été qu’un long travail pour en éluder l’application. Aussi ce monarque perdit-il en peu d’années le prestige du respect, tout puissant chez un peuple grave et hiérarchique comme l’Allemand. Doué de très grandes qualités d’ailleurs, Charles V comprenait l’empire au contre-pied des Allemands, et à la façon des romanistes modernes seulement. Ses précepteurs belges l’avaient imbu de la maxime quidquid principi placuit, legis habet vigorem. N’aimant pas l’Allemagne, il y venait comme malgré lui, de loin en loin, et, chose surprenante, il n’en parlait ni n’en entendait la langue. Deux fois, en pleine diète, il se fit traduire le bel allemand de Luther. Son rôle dans les diètes l’embarrassait beaucoup ; aussi abandonnait-il le gouvernement de l’Allemagne aux vicaires de l’empire d’abord, puis à son frère, qu’il fit élire roi des Romains, c’est-à-dire vice-empereur ou empereur en expectative, sauf à s’en repentir plus tard.

Les incompatibilités de cette situation ne tardèrent pas à éclater, et l’occasion s’en présenta, presque au début du règne, à propos de Luther, qui avait commencé ses prédications en 1517, sous la protection de l’électeur de Saxe et d’autres princes allemands. Avant de s’attaquer au dogme, Luther s’était attaqué au droit public, et en ce point l’Allemagne presque entière lui était sympathique. Profondément instruit du droit public ecclésiastique français, il proposait pour exemple aux princes allemands la résistance de nos rois