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réservant toutefois l’alternative à bref délai d’offrir au fils de François Ier, au lieu de la fille de l’empereur, sa nièce, la fille du roi des Romains Ferdinand, avec le duché de Milan pour dot en échange des Pays-Bas. Ces espérances séduisirent François Ier ; mais en ami fidèle il n’oublia point les princes d’Allemagne, et un article du traité consacrait l’engagement de Charles V à leur donner satisfaction dans la mesure du possible. Quoi qu’il en soit, la paix de Crespi, qui avait promis un moment les Pays-Bas, puis le Milanais, à un prince français, se convertit en un mirage passager par la mort du fils du roi, le duc d’Orléans. L’intérêt français n’ayant dès lors plus d’équivalent pour les abandons consentis à Crespi, la paix se réduisit à une suspension d’armes. Des événemens graves et multipliés se produisirent alors, et donnèrent une allure nouvelle aux affaires politiques. En 1546 mourut Luther, au moment même où le pape Paul III et Charles Y s’alliaient secrètement pour porter un coup décisif à la ligue de Smalkalde. Les princes réformés essayèrent de parer le coup en ouvrant de nouvelles relations avec François Ier ; mais la mort du roi suivit de près, et mit tout en suspens (1547). Henry VIII, roi d’Angleterre, autre appui des réformés, mourut dans le même temps. Tout manqua donc à la fois aux princes allemands, le successeur de François Ier, Henri II, étant éloigné par d’autres préoccupations de s’ingérer dans leurs affaires.

Les historiens les plus instruits ont considéré les malheurs qui accablèrent les princes allemands à partir de 1546 comme la conséquence de la paix de Crespi, et surtout de la mort de François Ier, qui avait privé l’Allemagne d’un auxiliaire généreux et entreprenant, disposé de longue main, par des relations cordiales, à secourir les réformés d’outre-Rhin. La politique flottante des princes réformés eux-mêmes avait contribué à les priver de cet appui. Ils ne portaient point dans leur alliance avec la France contre un ennemi commun cette ténacité qui est l’âme du succès en de semblables associations. Aussitôt que Charles V effrayé leur montrait une espérance ou leur concédait un point contesté, ils déposaient les armes, et se retiraient de l’alliance française pour suivre leur intérêt particulier. La France ne leur reprochait pas de préférer un accommodement à la guerre civile, mais la crainte de rester compromise dans son isolement, en face d’un ennemi puissant et irrité, paralysait la manifestation de son intérêt pour l’Allemagne, et la rendait réservée, dans ses actes de coopération. C’est ce qui décida François Ier à traiter avec l’empereur à Crespi, en se bornant à une stipulation générale en faveur de l’Allemagne. Les princes avaient donné l’exemple de faire ainsi leurs affaires particulières en mainte occasion. Aussi ne se plaignirent-ils pas de François Ier.