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officiers crurent insensé de lui obéir. Ses soldats, étonnés et abattus, ne répondirent aux cris provocateurs de l’armée française que par le silence. Désespéré de voir la brèche, sans que personne voulût y monter, l’empereur dit qu’il n’avait plus de soldats autour de lui, et retourna dans son quartier. La garnison commit alors une imprudence toute française. Voyant l’hésitation de l’ennemi, elle fit une sortie furieuse et chargea les impériaux ; mais Charles V arrêta cet élan, et les assiégés durent rentrer dans la ville après des pertes sensibles. Heureusement le lendemain une entreprise non moins hardie de Davila fut repoussée avec un succès complet. Ce fut alors, et dans la poursuite un peu vive de la cavalerie ennemie, qu’un cornette espagnol se retourna pour demander s’il y avait quelqu’un dans l’armée française qui voulût combattre en duel. Randan, ayant accepté le défi, se battit, avec la permission du duc de Guise, contre Henri de Manriquez, lieutenant de Davila. Après plusieurs passes habiles, Randan rompit sa lance contre le bras droit de Manriquez, qui laissa tomber la sienne, et les deux armées applaudirent.

Une nouvelle et considérable sortie fut faite quelques jours après, et l’ennemi en reçut un notable dommage. On était au 20 janvier 1553 ; l’empereur avait perdu 30,000 hommes, et n’était plus en état de tenir la campagne : il résolut de lever le siège. Le duc de Guise l’avait prévu, et s’était mis en mesure de poursuivre l’ennemi avec une prudente activité. Il lui infligea de nouvelles et grandes pertes dans sa retraite. Les routes étaient couvertes de mourans et de blessés, et François de Guise s’honora par son humanité après s’être couvert de gloire par sa valeur. Ronsard chanta sa victoire ; l’enthousiasme fut au comble. En Champagne, en Picardie, à Paris, les bénédictions des peuples accompagnaient le vainqueur, et les cloches sonnaient à toute volée partout sur son passage. Quant à l’empereur, « il s’en leva de là fort à regret, dit Brantôme, car il avait promis aux Allemands, pour se faire mieux aimer d’eux que par le passé, de remettre Metz, Toul et Verdun à l’empire, et les y réunir mieux que jamais ;… mais sa bonne destinée lui faillit là. » Il assiégea et prit une bicoque, Thérouanne, pour s’en consoler. Quant à Albert de Brandebourg, il fut abandonné aux malédictions de l’Allemagne, qui le mit au ban de l’empire, et commit Maurice de Saxe pour en avoir justice. La fuite d’Inspruck avait perdu Charles V aux yeux de l’Allemagne ; la fuite de Metz le perdit aux yeux de l’Europe. Charles-Quint n’imposait plus. Rongé de chagrin, dégoûté du pouvoir, il conçut dès lors peut-être la pensée d’abdiquer, qu’il réalisa deux ans après. Toutefois, avant de quitter le monde, il conclut avec Henri II, après les conférences de Mar-sur-Ardres, la convention de Vaucelles, du 5 février 1555, par laquelle l’uti possidetis, base du traité, garantit provisoirement à