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cèdent en rien aux Pacific Mills de Lawrence pour le choix et le nombre des outils. Par une inconséquence dont ils ne se vantent pas, ces trois établissemens ont dérogé pour cette fois à leur préférence pour les produits domestiques ; c’est en Angleterre et en France qu’ils ont acheté leur matériel d’exploitation, en s’attachant à ce que ces deux pays of fraient de plus perfectionné. Pour mieux battre l’Europe, ils ont eu recours à ses propres armes.

Ou cela les a-t-il conduits ? où en est l’industrie américaine après cette campagne que, depuis cinq ans surtout, elle poursuit avec tant d’ardeur ? On voit avec quelle masse de capitaux et d’instrumens elle agit, quels puissans ateliers elle fonde, et, comme si ce n’était pas assez, elle y ajoute des droits d’entrée qui varient de 40 à 70 pour 100. À ce compte, il ne devrait rien rester debout en Amérique des échanges avec l’Europe. Les statistiques cependant ne concluent pas tout à fait ainsi ; malgré quelques fluctuations, le mouvement entre l’ancien continent et le nouveau n’est pas si nul qu’on pourrait le croire. En 1868, les États-Unis ont encore importé pour 17,750,000 dollars de tissus et articles de coton (93,187,500 francs). On est en arrière, il est vrai, sur 1861, qui a donné 25,500,000 dollars, et 1866 qui atteignit le plus haut chiffre connu, 30,200,000 dollars ; mais ce sont là deux années d’exception : 1861 a vu commencer et 1866 a vu finir la guerre, double cause d’un approvisionnement irrégulier. Dans les circonstances ordinaires, les entrées de tissus se rapprochent davantage du chiffre le plus récent : c’est 13 millions de dollars pour 1840, 19 millions pour 1850, 12 millions pour 1862, 18 millions pour 1863, 17 millions pour 1864 et 22 millions pour 1865. Nous luttons donc encore, nous tenons pied, quoique la partie soit devenue difficile. Il est à croire qu’elle finira par un partage d’attributions, si le régime des tarifs dure ou empire ; à un certain degré, ce partage est même déjà fait.

On a vu qu’en général la manufacture américaine ne s’attaque pas aux filés fins. Dans le sud, elle s’en tient aux bas numéros, le 8 et le 9 ; à peine arrive-t-on jusqu’au 15. Il s’ourdit dans le premier cas des toiles pour l’usage des nègres, dans le second des cretonnes et des croisés (chaîne et trame 14), qui se vendent dans l’ouest sous le nom de shirting, drills, etc. Dans les fabriques du nord, les genres se relèvent, sans sortir pourtant des étoffes que l’on peut confectionner avec des fils de 27 1/2, numéro moyen, pures imitations pour la plupart, et marchandise de pacotille, comme on dit en termes de métier. Ce qu’on en fait d’ailleurs est moins par impuissance que par système. Les bons ouvriers ne manquent pas pour une besogne soignée, skilled labor ; mais dans ces manipulations monstrueuses la masse emporte le détail, les qualités s’absorbent dans les quantités. En filature, il y a bien des défectuosités