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N’allez pas croire pourtant que ces armées qu’on nous promet ne soient qu’un leurre et un vain mot : elles existent, elles s’exercent, l’effectif en est considérable ; des hommes autant qu’il en faut, moins d’officiers qu’il n’en faudrait, et par suite une instruction moins prompte, un retard d’organisation. De là sur certains points le penchant regrettable à perdre de vue Paris, le vrai cœur de la France, à rester sur la défensive ; à se fortifier chacun chez soi, sans concert, sans ensemble, et à faire dévier le mouvement national en lui donnant un faux courant.

Voilà les révélations qui en un seul jour, le 31 octobre, sont à la fois tombées sur nous. Ajoutez-y un chétif incident, un de ces faits que l’émotion des masses grossit outre mesure et façonne à la taille d’un véritable événement, la prise et l’abandon d’une bicoque à trois lieues de Paris : affaire conduite sans soin, sans vigilance, leçon sévère qui portera ses fruits, nous l’espérons. Rappelez-vous cette triste journée, tant de hasards funestes groupés comme à plaisir, et vous m’accorderez que ce mot d’armistice, prononcé juste à ce même moment, ne pouvait guère manquer d’être le bienvenu. On le salua sans réfléchir, sans bien peser ce qu’il valait, ou plutôt on n’en eut pas le temps, car, à peine prononcé, il devint le signal et l’occasion, depuis longtemps guettée, d’une tempête à la fois furieuse et ridicule qui pendant quelques heures nous mit tous en émoi. Glissons sur cette échauffourée dont le bon sens public a si tôt fuit justice, malencontreux échantillon de la prévoyance un peu trop confiante des hommes honnêtes qui nous gouvernent. Ce sera le dernier, nous dit-on, espérons-le, tout en nous préparant à revoir même fête aussi longtemps qu’on prétendra punir nos incorrigibles brouillons en leur parlant chapeau bas.

Pour aujourd’hui, ce n’est que l’armistice dont il y a lieu de s’occuper, et vous trouverez bon, j’en suis sûr, que je vous dise à ce sujet ma pensée tout entière.

Est-ce un bien grand malheur que le refus de la Prusse dont tant de gens paraissent consternés ? Pour ma part, je n’en ai qu’un médiocre regret. Que pouvions-nous au vrai attendre d’un armistice ? Était-ce donc la paix, une paix équitable ? Les conditions de cette paix étaient-elles ébauchées, et la suspension d’armes en serait-elle devenue l’acheminement nécessaire ? J’en doute et à bon droit. Si la puissante intervention du czar, flanqué de ces trois grands monarques, n’a pas mieux réussi à nous faire accorder ce qui est de droit commun dans les conventions de ce genre, un modeste ravitaillement limité et proportionnel ; si en prenant la peine d’écrire de sa propre main il n’a pas obtenu qu’on nous livrât passage pour quelques sacs de farine et quelques paires de bœufs, comment veut-on que par son seul crédit le moindre droit nous fût rendu d’avance sur ces deux chères provinces que nos âpres vainqueurs prétendent nous ravir, et qu’ils détiennent en leurs mains ?

Ce n’était donc pas la paix : non, me répondrez-vous, mais c’était le