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moyen d’élire une assemblée, et par cette assemblée d’arriver à la paix. Illusion, croyez-moi. Je nie d’abord qu’en vingt-cinq jours on pût, en ce moment, en France, improviser une assemblée régulièrement élue, la convoquer, la réunir et lui faire seulement vérifier ses pouvoirs. Le temps y manquerait, telle diligence qu’on y mît ; et si par impossible on faisait ce miracle, si pour loger cette assemblée on trouvait un lieu sûr que pour ma part je cherche en vain en dehors de Paris, Paris étant exclu par la raison du siège, si, tout réglé, tout aplani, la délibération s’ouvrait, je nie que la paix en pût sortir. On oublie donc ce que sont les hommes réunis, combien par la tribune les courages s’exaltent même au-delà du vrai. Consultée sur cette question brûlante du démembrement de la France, une assemblée française, même élue par les moins belliqueux des hommes, ne ferait qu’affirmer, tenez-vous-le pour dit, et d’une façon peut-être plus solennelle encore, le noble ultimatum de M. Jules Favre, ces deux mots inflexibles contre lesquels s’irritent les impatiens, les affamés de paix. Une assemblée peut traiter de la paix quand elle dicte des conditions, son rôle devient par trop pénible alors qu’elle en subit. On peut lui demander tout haut à la tribune d’être modérée dans la victoire ; dès qu’il s’agit de concession, le huis clos devient nécessaire : c’est par délégation, par commissaires, qu’un tel débat peut se vider, et s’il convient de demander un vote soit pour délivrer les pouvoirs, soit pour ratifier le traité, il faut le demander de la façon la plus sommaire et plutôt au pays lui-même qu’à l’assemblée de ses élus.

Ne nous plaignons donc pas si aujourd’hui l’occasion nous échappe d’élire une assemblée dont le temps n’est pas venu, et ne pensons plus à l’armistice, puisqu’il n’avait d’autre vertu que de devenir pour nous un sauf-conduit électoral. Je vais plus loin : non-seulement je suis tout consolé d’avoir perdu cet armistice ; mais je me désole qu’on nous en ait parlé, et celui dont l’autorité justement reconnue, le zèle désintéressé et l’activité courageuse nous ont valu ce premier témoignage de la sympathie européenne serait de mon avis, j’en suis certain, s’il était dans nos murs, et s’il voyait les désolans ravages dont ce mot non suivi d’effet est devenu la cause inattendue. Comme un de ces corps qui interceptent l’action de l’électricité, ce mot a tout à coup rompu le courant de patience et de résignation, de courage et de discipline, qui depuis le commencement du siège semblait s’être glissé par mille canaux secrets dans la population tout entière, jusqu’à pénétrer même un tant soit peu dans Belleville. Que dirai-je ? la presse aussi semblait en subir l’influence : à trois ou quatre exceptions près, chaque journal à sa façon prêtait un concours sincère à la cause de la défense : c’était à qui donnerait du cœur aux combattans, à qui prêcherait le dévoûment et la persévérance. Eh bien ! parce qu’il a plu à M. de Bismarck ou bien à M. de Moltke, peut-être même au roi Guillaume, de faire la sourde oreille au désir des quatre puissances, parce que la Prusse, quelque impatiente