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qu’elle puisse être d’avoir en face d’elle un gouvernement investi des pouvoirs de la France, n’a pas voulu, ce que je comprends fort, payer cet avantage au prix d’un statu quo de vingt-cinq jours et de vingt-cinq nuits les pieds dans la boue glacée, le corps transi et l’esprit plus ou moins troublé de la situation incommode où notre résistance prolongée la réduit, voilà tous ces organes de la publicité, ces maîtres de l’opinion, qui tombent en défaillance, lèvent la crosse en l’air et sonnent la déroute ! Les meilleurs y sont pris, à des nuances près : que d’exigences, que d’aigreurs ! quel abandon et quel énervement ! C’est une vraie contagion, un lamentable exemple. On en rougit vraiment quand on pense que les Prussiens sont là. Tâchons, s’ils en triomphent, que leur joie ne dure pas longtemps, pas plus qu’au lendemain de cette nuit lugubre, cette nuit de l’Hôtel de Ville qui les avait tant réjouis ! Rentrons au droit chemin, et reprenons notre mot d’ordre : tenir, quoi qu’il arrive, aussi longtemps que nous pourrons.

N’est-ce pas là justement ce que les Prussiens redoutent ? Ce refus d’armistice nous apprend leur secret. C’est de temps qu’ils sont avares, forçons-les d’en dépenser. Ils sont pressés, ne hâtons rien. Jamais consigne ne fut mieux indiquée et plus impérative. Toute impatience de notre part est un enfantillage, presque une trahison. Nous devons dire, et plus haut que jamais : Encore un mois de siège et deux mois, s’il le faut ! Les vivres, à la façon dont ils sont ménagés, suffiront amplement. Le calcul en est fait. On peut sans peine, même à défaut de tout ravitaillement, atteindre au terme de l’année et, s’il en est besoin, encore fort au-delà. Ce serait en vérité bien la peine d’avoir depuis deux mois, au prix de tant d’efforts, de tant de sacrifices, complété, affermi et l’armement et les ouvrages de notre immense citadelle, de l’avoir rendue imprenable et de nous être conquis, ce qui n’était pas plus facile, l’involontaire estime de nos juges les plus prévenus, pour tout abandonner, tout perdre d’un seul coup, à cette seule fin d’avoir le beau plaisir de reprendre plus tôt chacun son train de vie, ses habitudes, ses voyages, son régime accoutumé.

Je sais bien que cette fièvre de paix prend un autre prétexte. A quoi bon résister, dit-elle, si vous n’avez aucune chance soit de vous délivrer vous-mêmes, soit d’être secourus par d’autres ? Mais d’abord est-il bien certain que l’une et l’autre de ces chances nous manquent absolument ? Sans approuver des projets de sorties qui ne seraient que meurtrières, on en peut concevoir que la prudence n’exclurait pas, surtout si quelque intelligence venait à s’établir avec des forces extérieures. Ce n’est pas, quoi qu’on dise, un espoir chimérique que ces armées en formation ; à la seule condition de leur en laisser le temps, rien n’est moins impossible que d’entendre bientôt parler d’elles. Combien de fois n’a-t-on pas vu qu’au moment même où par dépit, par lassitude, on allait quitter la partie, le jeu vous venait dans la main ?