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de ses ordres ; le 14 août au matin, il déclarait sur la place de la préfecture de Metz qu’il ne se rendait encore un compte exact ni des forces ni des ressources dont il pouvait disposer, et le même jour, vers quatre heures, déjà il était attaqué par l’armée prussienne, qui depuis lors ne lui laissait pas un instant de relâche. Ce n’est pas lui qu’il faut accuser si l’on n’avait point fait sauter le pont de la Moselle à Pont-à-Mousson et défendu obstinément le passage de la rivière pour ne pas permettre aux forces ennemies de se porter de la rive droite qu’elles occupaient sur la rive gauche, qui gardait notre ligne de retraite, si les deux ponts de chevalet jetés sur la Moselle par l’artillerie française pour faciliter le passage de nos troupes ne pouvaient servir parce qu’on lâchait maladroitement les écluses de la ville, et qu’on provoquait une crue subite des eaux au moment même où ils venaient d’être établis, si enfin on ne se décidait pas à employer le pont du chemin de fer que la compagnie de l’Est, avec son patriotisme accoutumé, mettait à la disposition de l’armée. Toutes ces fausses manœuvres et ces hésitations nous faisaient perdre des heures d’où dépendait le salut. Pendant que nous hésitions, l’ennemi se portait à marches forcées sur la route de Verdun, que l’empereur signalait à l’attention des Prussiens en annonçant publiquement à l’impératrice qu’il se dirigeait de ce côté. Le maréchal Bazaine n’exerça réellement le commandement en chef qu’à l’heure où l’empereur quitta Metz dans la soirée du 14 août. Il était déjà bien tard pour réparer tant de fautes. On l’eût pu cependant, si l’on avait bien apprécié le prix du temps et pressé la marche. Le 15 août, toute la journée la route de Verdun était libre ; l’empereur la suivit le 16 au matin avec quelques régimens de cavalerie sans y rencontrer aucune résistance, quoique les uhlans y eussent paru ; mais les Prussiens n’avaient pas livré inutilement le sanglant combat de Borny. Ils comptaient sur cette fausse attaque, comme ils l’ont dit depuis, pour retenir les Français sous les murs de Metz, pendant que le gros de leurs forces se porterait immédiatement par une marche vigoureuse sur la rive gauche de la Moselle. Ils nous occupaient, ils ralentissaient notre départ en nous demandant une suspension d’armes sous prétexte d’enterrer leurs morts, en réalité pour laisser le temps au prince Frédéric-Charles d’opérer son mouvement rapide de l’autre côté de la rivière. Nous aussi, nous finissions par nous mettre en marche, mais avec moins d’activité et de rapidité que les Allemands. Il semble que dans cette guerre nos ennemis, qu’on croyait lents et circonspects, nous aient pris nos anciennes qualités, la vigueur et l’audace. C’est nous qui sommes embarrassés dans nos mouvemens, qui ne savons plus aller vite, nous décider promptement, prendre une résolution énergique.