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asservir la Grèce entière, et qui, bien que refoulée dans ses possessions d’Asie, pouvait par un retour de fortune tenter une nouvelle invasion. Ils ne prenaient vraisemblablement pas garde aux Thébains, qui, soixante ans après, devaient, grâce au génie d’un Pélopidas et d’un Epaminondas, s’ériger en arbitres des cités helléniques et dominer par les armes ceux qui jusqu’alors s’étaient fait une habitude de vaincre. Assurément ces esprits attentifs à interroger l’avenir ne pensaient pas à un petit royaume situé au nord-est fort loin d’Athènes, et qu’on appelait la Macédoine. La population en était à peine civilisée, elle ne pesait alors d’aucun poids dans la balance des destinées de la Grèce. Périclès, Cimon, quand ils réglaient les intérêts extérieurs de leurs compatriotes et concluaient des traités et des alliances, ne considéraient certainement pas plus la Macédoine que Louis XIV ne considérait l’électeur de Brandebourg, lorsque en 1672 celui-ci venait prêter son faible appui aux Hollandais accablés par nos victoires. Certes si l’on eût dit au grand roi que deux siècles plus tard un descendant de ce prince allemand, grâce à l’imprévoyance d’un gouvernement aveugle, disperserait en moins de trois mois les forces militaires de là France et tiendrait Paris étroitement assiégé, il eût accueilli cette prédiction avec un incrédule dédain. C’est que les états de Frédéric-Guillaume n’étaient guère plus au XVIIe siècle pour l’Europe que ce que la Macédoine était pour la Grèce au Ve siècle avant notre ère. Ce n’est pas que les Macédoniens fussent, au temps de Périclès, dépourvus de bravoure et privés de certains avantages. Si la civilisation n’avait que faiblement pénétré chez ces rudes peuplades, en revanche elles n’avaient pas subi l’influence énervante d’une société blasée ; leur vie était simple, leurs mœurs étaient pures. La femme macédonienne devait à sa chasteté un respect et une influence analogues à ceux dont jouissaient, suivant Tacite, les épouses germaines. Le courage était chez eux une vertu si générale que, dans plusieurs tribus de la Macédoine, l’homme qui n’avait pas tué un ennemi était noté d’une sorte d’infamie ; mais les ressources faisaient alors défaut à cette contrée septentrionale, le sol y était pauvre, le commerce peu développé, les communications y étaient difficiles, les villes sans importance. La capitale primitive de la Macédoine, Egées, n’était qu’un gros bourg ; Pella, qui prit sa place à dater du règne d’Amyntas, ne fut jamais à comparer avec Athènes, Argos, Corinthe, Thèbes, Samos, Rhodes et bien d’autres cités grecques.

Toutefois ce pays avait déjà fait de notables progrès. Si on le compare à la Prusse, ce ne peut être qu’à la Prusse de Frédéric Ier ou de son fils. Des conquêtes, des annexions dues à la force ou à la ruse, en avaient incessamment agrandi le territoire. Les rois macédoniens étaient arrivés à dominer jusqu’à l’Axius et à occuper