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glaciers ; les circonstances sont ainsi très propices à la multiplication de ces espèces dans la vallée de l’Inn. Animaux carnassiers, les truites, habitant des eaux où il n’existe pas de jeunes poissons d’autre genre, peu de mollusques, à peine quelques vers et quelques larves d’insectes et de très petits crustacés, n’auraient pas toujours une alimentation suffisante, si les hasards de la fortune venaient à manquer. Pendant les mois du printemps et de l’été, des insectes poussés par le vent, mouillés par la pluie, tombent en foule sur l’eau ; des mouches, des libellules, des papillons, divers coléoptères, voltigent en rasant la surface : ils sont happés par les truites, et quand la disette se fait grande parmi ces poissons voraces, les plus forts mangent les plus faibles. La truite de rivière (Trutta fario), qui vit habituellement dans l’Inn et dans plusieurs ruisseaux, vient aussi dans les lacs. La truite des lacs (Trutta lacustris), qui n’entre dans les rivières que pour frayer, acquiert souvent des proportions magnifiques. Les Engadiniens assurent qu’on en pêche à Sils, à Silvaplana, à Campfer, à Saint-Moriz, des individus dont le poids varie de 10 à 20 kilogrammes ; mais de ces derniers on garde le souvenir, car ils sont rares. La rotengle n’est pas une ressource pour les habitans ; comme un animal privé de nourriture, elle reste chétive dans les lacs de Saint-Moriz et de Satz, et sa propagation demeure fort restreinte !


III

L’Engadine, que l’on a parfois appelée la Sibérie du monde alpestre, est une contrée que la nature a faite de plus remarquables, mais à nos yeux peu attrayante pour un séjour durable. Le climat est d’une rigueur effroyable ; les végétaux et les animaux utiles à l’homme sont très parcimonieusement distribués, le sol se refuse à toute culture vraiment productive. On est donc conduit à chercher par suite de quelles circonstances un tel pays se trouve occupé par une population heureuse et fortement attachée au sol. L’explication semble facile. A diverses époques, des familles, s’efforçant d’échapper à des ennemis puissans, se sont réfugiées dans la haute vallée, que protègent des barrières presque infranchissables pendant une grande partie de l’année. Après avoir succombé dans la lutte avec les hommes, on a entrepris la lutte avec la nature, et un jour est arrivé le succès ; mais avant d’être telle qu’on la voit à présent, l’Engadine a eu bien des troubles. Malgré ses barrières naturelles, la vallée de l’Inn, offrant le plus court chemin pour passer de l’Allemagne en Italie, a été souvent escaladée par les armées étrangères, et elle n’a pas échappé aux guerres de religion. Suivant une croyance très répandue, les Celtes ont été les maîtres du pays ; cette opinion