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Allemagne attestent dans leur douloureuse captivité l’impéritie de ceux qui les ont conduits ou qui ont annulé les efforts de leurs chefs les plus vaillans. L’infortune imméritée qui les a frappés est la plus sanglante condamnation de ce régime disparu, qui est tombé sans sauver l’honneur. Maintenant c’est la France elle-même qui s’est levée tout entière pour sa défense, c’est la France combattant pour sa nationalité, pour son intégrité, résolue à repousser avant tout l’invasion attirée sur elle. La guerre a changé complètement de face, et ici, sans rien exagérer, on ne peut du moins méconnaître ce que le gouvernement de la défense nationale, ce gouvernement improvisé le 4 septembre dans une heure de péril suprême, a fait pour remettre le pays en état de soutenir cette lutte nouvelle de l’esprit de patriotisme et d’indépendance contre l’esprit d’usurpation et de conquête, s’avouant désormais dans sa brutalité triomphante. Sans doute on peut dire tant qu’on voudra que ce gouvernement n’a pas montré un génie irrésistible et foudroyant, qu’il n’a pas réalisé l’impossible, qu’il n’a pas réussi en trois mois à rejeter un ennemi victorieux hors des frontières ; il a fait ce qui était possible, il a conduit avec une prudente et honnête énergie une campagne presque désespérée à l’origine, et si l’on veut mesurer ce qui a été accompli, on n’a qu’à se souvenir du point d’où l’on est parti le 4 septembre. Tout était alors en désarroi sous le coup du désastre de Sedan, les Prussiens arrivant sous Paris dans le premier moment n’auraient eu peut-être qu’à pousser une attaque à fond pour arriver sur les remparts avec nos premiers défenseurs découragés. L’empire, en s’effondrant, ne nous laissait ni soldats ni officiers en nombre suffisant, ni matériel ; il ne nous laissait que de la démoralisation, fruit naturel de son génie militaire et politique. La première nécessité était de gagner du temps pour se relever de ces effroyables surprises. Trois mois se sont écoulés, où en est-on maintenant ? Il faut être juste, même pour ceux qui n’ont pas fait tout ce qu’on espérait d’eux : la résistance de Metz, si triste qu’en ait été le dénoûment, cette résistance n’a point été certainement inutile, elle a eu pour résultat, en retenant 200,000 Prussiens en Lorraine, de permettre à la défense de Paris de s’organiser, de s’affermir, et Paris à son tour, en tenant bien plus qu’on ne le pensait, a laissé à la province le temps de se reconnaître, de faire jaillir de son sein des armées nouvelles, de s’ébranler pour la grande lutte patriotique, de sorte que ces trois mois, qui ont paru si longs quelquefois, ont servi en réalité à mettre nos défenses hors de péril, à refaire dans Paris une armée qui existait à peine, à retremper tous les courages, à stimuler l’insurrection nationale des provinces. Voilà ce qu’on a fait. Et dans quelles conditions l’œuvre s’est-elle accomplie ? au milieu de la liberté la plus absolue, des divulgations souvent indiscrètes des journaux, des déchaînemens heureusement éphémères des factions, avec un gouvernement réduit à se partager en deux, avec des communications interrompues, avec Paris investi étroi-