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velle où nous entrons. Les difficultés qui nous restent à surmonter ne nous échappent pas. Il n’est pas moins vrai que cette armée de la Loire, pour laquelle M. de Bismarck avait naguère des railleries poméraniennes, existe, qu’elle a fait récemment acte de vitalité en reprenant Orléans, en chassant devant elle les divisions prussiennes ou bavaroises du général de Thann, et qu’elle a commencé par ce premier succès des opérations qui semblent conduites avec une prudente et énergique circonspection par un de nos vieux soldats, le général d’Aurelle de Paladines. Cette armée, c’est M. Gambetta qui nous l’assure, elle compte 200,000 hommes sur la Loire ; elle s’appuie sur une autre force de 100,000 hommes prête à entrer en ligne en ce moment même, au 1er décembre ; un peu plus en arrière sont encore 200,000 mobilisés de la garde nationale plus qu’à demi organisés. C’est déjà quelque chose d’assez respectable. A l’ouest, une armée bretonne s’avance avec M. de Kératry. Le général Bourbaki à son tour, Bourbaki, dont nous ne savons rien, doit bien être quelque part, puisqu’il a donné de l’inquiétude aux chefs prussiens, qui ont paru récemment se préoccuper d’une jonction possible de ses forces avec l’armée de la Loire. Dans l’est, il y a Garibaldi préparant son entrée en campagne avec ses francs-tireurs des Vosges, il y a M. Keller avec ses volontaires de l’Alsace, sans compter l’armée qui est sous Besançon aux ordres du général Michel. On a voulu pousser la France à bout, la France se lève ; la province, on n’en peut plus douter, court au drapeau, tandis que de son côté le général Trochu entre en action sous Paris, autour de ce grand boulevard de l’indépendance nationale.

Encore une fois, c’est une lutte nouvelle qui commence ; le mouvement se dessine à travers l’obscurité qui nous enveloppe, les forces existent et se coordonnent, le reste est l’affaire de notre constance, dussions-nous avoir à subir d’inévitables mécomptes et à traverser de dures épreuves avant de toucher au grand but de la délivrance. Nous pensons bien que dans cette lutte nouvelle nos chefs militaires, éclairés désormais par l’expérience, sauront opposer la tactique à la tactique, harceler l’ennemi au lieu d’aller se livrer à ses coups, comme on l’a fait si souvent, le contraindre à faire face de tous les côtés à la fois, s’il ne veut s’exposer à voir refluer sur lui une nation tout entière en armes. Nous avons le triste avantage de combattre chez nous, profitons-en pour déjouer cette stratégie savante et uniforme, mieux faite pour frapper quelques grands coups au commencement d’une guerre que pour dompter un pays. Militairement donc, on peut bien dire sans excès d’illusion que tout a pris une tournure plus rassurante, puisque là où il n’y avait rien il y a des armées nouvelles, enfantées et disciplinées par la passion patriotique, — et au point de vue moral ou diplomatique en Europe ces trois mois n’ont pas eu des conséquences moins favora-