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Mommsen ou de M. Du Bois-Reymond, et comparez-les aux déclarations du roi Guillaume. Tous, ils veulent « nous rendre des mœurs. » Le mot est consacré. C’est pour nous rendre des mœurs qu’ils viennent incendier nos fermes, dépeupler nos campagnes par la terreur. C’est pour nous faire expier les crimes de Mme Bovary et les folies de M. Offenbach qu’ils sont venus mettre à feu et à sang l’Alsace et la Lorraine. C’est pour châtier les oisivetés de notre jeunesse dorée, les légèretés de Paris, sa littérature de mauvais boudoirs et de journaux malsains, les corruptions publiques et secrètes de la cour et de la ville, qu’ils sont venus traînant à la suite de leurs hordes ces honnêtes chariots allemands sur lesquels s’accumulent les dépouilles de nos provinces, et qu’ils renvoient chez eux avec les bénédictions du prévoyant père de famille, le vaillant soldat de la landwehr !

Justiciers, ils le sont tous ; mais le grand justicier, c’est le roi Guillaume. Ce souverain est moins un homme qu’un principe. Il est la justice et la miséricorde, il est la loi vivante et l’amour, il est le châtiment et la bénédiction. Par nature, il est le plus doux des hommes ; sa piété et sa tendresse n’aspiraient qu’à se répandre sur le monde. Il aurait voulu passer sa vie à parcourir la Prusse, bénissant, édifiant ses sujets, ses enfans ; mais une mission terrible lui a été donnée d’en haut. Il faut qu’il fasse la guerre aux ennemis de la Prusse, qui sont les ennemis du ciel. Soldat de Dieu, il exécutera sa consigne. Et comme son cœur va souffrir ! Un jour, c’est le Slesvig qu’il prend ; un autre jour, c’est le Hanovre, puis c’est Francfort qu’il occupe. Il pleure, mais il prend. Il pleure encore, mais il prend toujours. Survient la guerre avec « son bon frère Napoléon. » Il est le plus fort, c’est tout simple : il combat pour Dieu, Dieu combat avec lui ; entre Dieu et lui, c’est à la vie et à la mort. Aussi comme il répare les mœurs partout où il passe ! Oui, en faisant le vide ! Quelle douceur dans ses moyens de vaincre ! Il fait bombarder Strasbourg à seule fin d’abréger pour cette pauvre ville le temps de l’épreuve : l’incendie de la bibliothèque, la destruction de la cathédrale, ne sont que des artifices de sa générosité. Ici, à Paris, la même générosité lui dicte une conduite contraire. Il lui répugne « de verser la mort et l’incendie sur la plus belle cité de l’univers. » Croyons aussi, pour être justes, que l’artillerie de nos forts aide puissamment ces touchans scrupules. Avec une sollicitude paternelle, il expose à tous les postes de péril ses bons alliés les Saxons et les Bavarois ; c’est pour réhabiliter leur vaillance dans l’opinion de l’Europe, qui semblait en douter. Le témoignage le plus flatteur qu’il puisse leur rendre, c’est de les faire exterminer en ménageant ses propres soldats, qui n’en sont plus à faire leurs preuves. Ainsi dévoué à ses alliés, fier de son armée, pieux et prêt