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on n’a plus rien dit du tout. » Voilà le dernier mot, voilà le dernier souffle d’une popularité expirante : on n’a plus rien dit du tout !

Sans doute Lamartine était encore de ce monde, il n’était pas de ceux qui disparaissent ainsi. Il était représentant comme bien d’autres, journaliste comme bien d’autres ; il n’avait pas cessé de se mêler aux polémiques et aux luttes de son temps, et même dans ces deux ou trois années de république, où il était redevenu un homme comme tous les hommes, il retrouvait parfois encore des éclairs d’inspiration, quoique avec une chaleur déjà diminuée. Il restait dans la chambre comme le dernier prestige survivant de la révolution de février. Lamartine avait un rôle qu’il croyait être pour lui une obligation d’honneur, une décence de sa vie. Il s’était identifié un instant avec la république, il la défendait, il aurait tenu à la sauver de tous les naufrages qui la menaçaient, fût-ce au prix de quelques concessions au temps, aux nécessités d’une situation aggravée par tout le monde. Gêné dans son attitude par son passé, mais impartial et indépendant par ses idées, modéré de caractère et d’habitudes, il avait pour tous des paroles empreintes d’un esprit supérieur de conciliation. Lorsqu’on proposait la révision de la constitution pour favoriser la réélection du président nommé le 10 décembre 1848, il aurait voulu qu’on ne résistât pas à outrance à ce mouvement, qu’on laissât tout au moins une issue légale à un entraînement qu’il déplorait, mais qu’on ne pourrait peut-être pas réprimer, et qui, laissé à lui-même, emporterait la constitution tout entière. Lorsque les partis irrités et tumultueux dans l’assemblée laissaient entrevoir leurs passions de combat, il se faisait volontiers le modérateur de ces passions, bien persuadé que, si l’on en venait à un conflit, la république serait de toute façon la première à périr. Lamartine ne se trompait pas ; mais que pouvait-il ? Il n’était plus l’homme du moment. Pour les républicains, il était trop modéré ; pour les conservateurs, il était encore le représentant de la révolution de février, qu’on appelait une catastrophe ; pour les bonapartistes, il n’était qu’une glorieuse inutilité, une éloquence sans emploi sous le régime qu’ils rêvaient, sans autorité possible dans les solutions qu’ils méditaient. Pour tous, c’était un homme d’imagination jetant des paroles harmonieuses au milieu des âpres réalités d’une politique qui conduisait à des coups d’état. Il était fini.

D’ailleurs Lamartine était de plus en plus sous le poids d’une détresse croissante. Il avait été trop prodigue de sa fortune, comme il l’avait été de tous les dons de sa brillante nature, et il se retrouvait en face d’un effondrement de sa situation privée qu’il osait à peine mesurer du regard. Déjà, dès 1849, il écrivait qu’il était allé à Saint-Point pour de « pénibles déracinemens domestiques de propriétés, de maisons paternelles, » et cela ne faisait que