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constitutions, et sur celle même de Syracuse. Ce que nous distinguons à travers les renseignemens à la fois maigres et confus qui nous ont été conservés surtout par le Sicilien Diodore, c’est que le nouveau régime n’alla pas sans de longues agitations. La dynastie tombée, avec ses victoires sur les autres cités siciliennes et sur les Carthaginois, avec ses triomphes dans les grands jeux de la Grèce, avec les éloges que lui avait prodigués la voix retentissante des poètes, avait laissé des souvenirs et conservé un prestige que plus d’un ambitieux tenta d’exploiter ; par les droits civiques qu’elle avait conférés à ses mercenaires, par les maisons et les terres dont elle les avait gratifiés aux dépens des citoyens, elle avait créé des intérêts rivaux que sa chute laissait en face les uns des autres, irrités du passé ou inquiets de l’avenir. De là bien des périls, bien des menaces contre lesquelles la démocratie naissante sentit le besoin de se protéger. Une des précautions qu’elle prit à cet effet, ce fut l’institution du pétalisme, qui, par les services que l’on en attendait, comme par la forme même du mot, rappelle l’ostracisme athénien. La différence était que l’on inscrivait sur une feuille, petalon, et non sur une coquille ou un tesson, ostracon, le nom du citoyen dangereux que l’on voulait écarter. Ainsi furent prononcées des sentences d’exil assez nombreuses pour qu’au bout d’un certain temps le peuple ne crût plus avoir besoin de cette arme redoutable : le pétalisme fut aboli.

Le talent de la parole devait jouer un grand rôle dans ces luttes où était engagée la personne des principaux chefs, et qui pouvaient toujours aboutir à des arrêts de bannissement. Vers la même époque, les procès civils ne fournissaient pas une moindre matière à l’éloquence. Sous les tyrans, c’était le bon plaisir du prince qui terminait tous les différends ; il s’agissait non de plaider, mais de plaire. Un des premiers actes de la démocratie à Syracuse, comme dans les autres cités siciliennes, dut être de constituer des tribunaux populaires analogues à ceux d’Athènes, de grands jurys dont les membres étaient, d’une manière ou d’une autre, pris parmi les citoyens. C’est ce que nous aurait permis de supposer la pratique constante des démocraties grecques, qui cherchaient là une de leurs plus sûres garanties ; c’est ce que confirme d’ailleurs une phrase de Cicéron traduite d’Aristote. L’auteur de la Politique atteste qu’après l’expulsion des tyrans tous les intérêts lésés portèrent devant les tribunaux leurs revendications et leurs plaintes. De nombreux habitans avaient été enlevés à leurs cités natales et transportés par la force dans d’autres, que ces princes voulaient agrandir ou qu’ils fondaient dans des endroits déserts ; d’anciens citoyens avaient été dépossédés et privés de leurs droits, des émigrans, des soldats,