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classer les notions acquises par l’expérience, de soumettre les phénomènes à une observation régulière, de s’étudier elle-même et d’étudier le monde. Elle arriva bien, dès le début, à établir certaines théories, solides fondemens de l’édifice que devait construire l’avenir : elle fit certaines découvertes qui, vu l’imperfection de la méthode et des instrumens, témoignent d’une finesse et d’une pénétration singulière ; mais il n’était pas possible que la pensée, dans son premier élan et son premier orgueil, se résignât à la tâche, en apparence ingrate et stérile, de noter, de coordonner des faits, et d’en tirer des lois. Elle devait se laisser tenter par le plaisir d’imaginer de brillantes hypothèses, de franchir ainsi d’un vol hardi les limites encore si étroites de ses connaissances positives. Aujourd’hui le savant qui mérite ce nom travaille à montrer comment se passent les choses, et renonce à se demander pourquoi elles sont ainsi, il se refuse à entrer dans les questions d’origine et de fin ; mais les première venus dans la carrière pouvaient-ils observer une méthode à laquelle, de notre temps même, bien des esprits sont encore infidèles ? Ils procédèrent donc sans cesse par intuition, et, comme pour la forme de la terre et pour son mouvement propre, ils devinèrent parfois ce qui ne devait être démontré que bien des siècles plus tard. Chacun d’eux eut son système sur l’origine du monde, et en chercha le principe, la cause, dans tel ou tel élément, Thalès dans l’eau, Anaximène dans l’air, Héraclite dans le feu.

C’était donc dans le monde sensible que se renfermèrent les physiologues ioniens, comme les appela l’antiquité. Le dernier représentant de cette école, Anaxagore, devait, il est vrai, chercher le principe suprême en dehors de la matière, dans ce qu’il appelait l’intelligence ; mais il n’avait pas encore écrit, quand se produisit une première protestation contre la physique ionienne. Le signal de cette réaction fut donné par Xénophane de Colophon, un de ces émigrés que la conquête médique conduisit sur les rivages de la Grande-Grèce ou Grèce italienne. Xénophane, qui avait débuté par la poésie élégiaque, ne fit d’ailleurs qu’ébaucher le système qui reçut de son élève, Parménide d’Élée, sinon plus de clarté, au moins plus de cohésion et de force.

Au lieu de partir des données de l’expérience et de remonter des phénomènes à la cause, les éléates débutaient par la notion de l’être pur, de l’absolu ; leur doctrine, qui a vivement frappé Platon et tous les historiens de la philosophie, paraît avoir été une sorte de panthéisme idéaliste également hostile au sensualisme des physiciens d’Ionie et à l’anthropomorphisme de la religion vulgaire. Pour exprimer l’espèce de ravissement que faisait éprouver à leur