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LA RÉUNION DE L’ALSACE.

avait perdu ses états, du landgrave de Hesse, de l’électeur palatin, dont la satisfaction était également nécessaire et difficile. Le règlement de leurs affaires devait beaucoup occuper le congrès.

Tel était le programme des réunions de Munster et d’Osnabrück. Je n’en veux prendre que ce qui est relatif à la France. L’intérêt français se concentrait dans le règlement de ses limites, l’exécution du traité de 1634 avec l’Allemagne, du traité de 1635 avec les Provinces-Unies. Mazarin appelait sur ce point toute la sollicitude de nos plénipotentiaires par un mémoire peu connu qu’il leur adressait le 20 janvier 1646, et dans lequel il exposait que l’extension de nos frontières jusqu’à leurs limites naturelles par l’acquisition des Pays-Bas espagnols formerait à la ville de Paris un boulevard inexpugnable, que ce serait alors véritablement que l’on pourrait l’appeler le cœur de la France, et qu’elle serait placée dans l’endroit le plus sûr du royaume. On en aurait étendu les frontières jusqu’à la Hollande, et du côté de l’Allemagne, qui est celui d’où on peut aussi craindre, jusqu’au Rhin, par la rétention de la Lorraine et de l’Alsace, par la possession du Luxembourg et plus tard du comté de Bourgogne. Il fallait donc, écrivait Mazarin, par tous les moyens possibles, obtenir de l’Espagne la cession des Pays-Bas, en échange de la Catalogne, qu’on lui rendrait en y ajoutant le Roussillon, s’il était nécessaire, et même d’autres avantages. Ce point obtenu, ajoutait-il, on s’entendrait avec les états-généraux pour un partage, au gré de leurs intérêts, qui leur donnerait Anvers en exécution du traité de 1635.

Toute l’habileté du comte d’Avaux et d’Abel Servien s’usa sur cette question pendant plus d’une année. L’Espagne y opposa une invincible résistance. À certain moment, elle offrit de s’en rapporter à l’arbitrage de la reine de France elle-même, à quoi la reine répondit que, « quelque flattée qu’elle fût de la qualité de juge et de médiatrice qu’on lui offrait, elle ne pouvait l’accepter, étant difficile qu’elle pût prononcer autrement qu’à l’avantage du roi son fils et de son royaume ; qu’on lui faisait grand tort, si on l’avait jugée capable ou de payer aux dépens de l’état un respect qu’on lui rendait, ou de sacrifier le bien de la couronne de France à l’affection qu’elle avait pour la maison dont elle était sortie. » Après ce noble langage, l’incident n’eut pas de suite ; mais on écrirait un volume des ruses diplomatiques de tout genre qui furent déployées de part et d’autre à Munster. Toutefois, entre le voisinage d’une puissance triomphante comme la France et le voisinage d’une puissance alors exténuée comme l’Espagne, la Hollande préféra obstinément le dernier. Elle mit tout en œuvre pour confirmer l’Espagne dans son refus, et, profitant de l’excitation patriotique qu’elle avait fomentée chez les Espagnols, elle fit avec eux son accommodement particulier,