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pour se replier sur elle-même, pour prendre conscience de ses sentiment et de ses pensées. La Grèce asiatique et insulaire avait accompli déjà cette œuvre, que l’art grec en était encore à se dégager de l’influence orientale et à chercher sa voie. En moins d’un siècle, Athènes mène à bien une double tâche ; dans le domaine des lettres comme dans celui de l’art, elle termine ce qu’avaient si brillamment commencé Ioniens, Éoliens et Doriens : elle conduit l’esprit grec à sa pleine et féconde maturité.

A la poésie, elle donne la seule forme qui lui manquât encore : le drame, qui marie l’action à la réflexion, le récit épique au chant lyrique. Dans ces mêmes années, avec Hérodote qu’elle inspire, avec Thucydide qu’elle enfante, Athènes fonde l’histoire ; avec Socrate, elle ouvre cette grande école de philosophie morale d’où sortiront Platon et Aristote, Épicure et Zenon ; avec Périclès, elle donne les premiers modèles de la haute éloquence politique. Athènes ne s’en tenait pas là ; du même élan, par le merveilleux travail d’une seule génération, elle portait les arts plastiques à la perfection. Sous l’impulsion de Périclès, architectes, sculpteurs et peintres décoraient l’Acropole, la cité et l’Afrique tout entière de monumens dans lesquels les contemporains reconnurent tout aussitôt l’idéal depuis longtemps entrevu et cherché ; Ictinus, Phidias, Polygnote, étaient les égaux d’Eschyle, de Sophocle et d’Aristophane : ils donnaient une aussi complète satisfaction aux aspirations du peuple le plus épris du beau qui ait jamais été, aux exigences de son goût délicat et subtil. On peut même dire que ces artistes, en un certain sens, ont été supérieurs aux poètes d’Athènes ; la plastique en effet a par sa nature même un domaine plus restreint et des combinaisons moins variées que la poésie ; elle n’a point, comme celle-ci, à rendre les nuances multiples et éternellement changeantes de tous les sentimens humains. Dans la tragédie et la comédie grecques, il y a tout un côté extérieur, toute une forme qui n’est plus pour nous qu’une pure curiosité archéologique, et notre âme se trouverait à l’étroit dans ce cadre, si magnifique qu’il puisse être. Au contraire un temple comme le Parthénon n’est-il pas aujourd’hui encore le chef-d’œuvre même de l’architecture ? Par l’exacte proportion de toutes ses parties, par sa solidité apparente et réelle, par ce qu’il y a de mesure et de justesse dans cette grandeur, le Parthénon remporte sur les édifices les plus vantés du moyen âge et des temps modernes. Quant à la statuaire, il y a moins encore matière à discussion : Michel-Ange est certes le plus grand sculpteur que l’Italie puisse opposer à l’antiquité ; or n’est-ce pas lui qui, vieux et aveugle, se faisait conduire auprès de cette merveille qui est connue sous le nom de Torso del Belvedere, et là, de ses mains tremblantes, pour jouir encore de ce que ses yeux ne