Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 90.djvu/95

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la lutte des partis. Le droit civil d’Athènes avait été fixé par Solon sur des bases qui, grâce à son grand sens et à son esprit modéré et pratique, ne subirent jamais d’atteinte profonde. Judicieux compromis entre un antique droit coutumier qui avait ses racines dans les plus vieilles croyances religieuses de notre race et les besoins nouveaux d’une société qui se transformait, cette législation n’entrait pas dans les détails et ne cherchait pas à prévoir toutes les espèces ; elle se bornait à poser les principes généraux, à régler d’une manière sommaire les principaux rapports que peuvent soutenir les hommes entre eux et avec les choses. Par là même, elle laissait beaucoup à faire au discernement et à l’autorité souveraine du juge, et elle provoquait ainsi les plaideurs à des discussions où il n’y avait pas seulement à examiner une question de fait, mais encore à éclaircir le sens de la loi. Avec sa finesse et sa curiosité, l’esprit grec se complaisait dans ce travail d’analyse et de définition.

Tout concourait donc, après l’expulsion des Pisistratides, à favoriser dans Athènes affranchie les progrès et l’essor de l’éloquence. Quand il s’agit de prendre les résolutions hardies qui sauvent Athènes et la Grèce dans la crise de l’invasion barbare, les hommes d’état qui demandent ces sacrifices ont à les faire accepter des Athéniens, à les justifier dans le sénat et dans l’assemblée populaire. Aristide et Thémistocle, hommes supérieurs, l’un par le caractère, l’autre par le génie, parlèrent, assurent les historiens, avec gravité, véhémence et habileté. Ce fut surtout l’éloquence de Thémistocle qui laissa des souvenirs. « Il était, dit Lysias, aussi capable de parler que de juger et d’agir. » Seul de tous les hommes qui travaillent au salut d’Athènes, Miltiade ne paraît pas avoir manié facilement la parole. C’était à peine un citoyen : allié aux rois barbares de Thrace, tyran de la Chersonèse, mercenaire infidèle du roi de Perse, il ne compte qu’un beau jour dans sa vie, Marathon. En dépit de toutes les déclamations sentimentales, c’est peut-être lui-même plutôt que l’ingratitude et le caprice des Athéniens qu’il faut accuser de sa fin malheureuse.

Après la défaite et l’expulsion des Perses, la carrière ouverte à l’éloquence s’élargit encore. Tous les citoyens, riches et pauvres, laboureurs de la plaine de Thria, bûcherons du Parnès, vignerons de la Mésogée, matelots et rameurs du Pirée, fils d’Eupatrides illustrés par des alliances royales et des victoires aux jeux olympiques, tous ont fait leur devoir sur terre et sur mer ; tous les fronts sont éclairés d’un rayon de la gloire commune. Le mouvement qui depuis Solon entraînait Athènes vers la démocratie s’accélère et se précipite. Aristide ouvre aux citoyens de la dernière classe, aux marins, aux petits commerçans, à tous ceux qui ne sont pas propriétaires ruraux, la porte des honneurs. Le sort commence, sans