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des Athéniens. Laissons de côté les hommes de génie, les Thémistocle, les Périclès, les Démosthène, et ne parlons que de ceux qui figureront au second rang dans cette galerie, d’un Callistrate d’Aphidna ou d’un Eubule d’Anaphlyste, d’un Lycurgue ou d’un Hypéride ; ceux-ci même, s’ils sont devenus et s’ils sont restés pendant un certain nombre d’années les conseillers ordinaires du peuple athénien, n’ont-ils pas dû cet honneur (l’histoire l’atteste quand leurs discours ne sont plus là pour en témoigner) à des qualités sérieuses, à des preuves répétées de compétence, de capacité politique, administrative ou financière ? Obligés par la situation qu’ils briguaient d’être toujours prêts à offrir au peuple leur avis, les orateurs étaient tenus de réunir un double mérite : d’une part le souci de la forme et l’art du bien dire, de l’autre la netteté, la sûreté du jugement et l’habitude des affaires. On sait par plus d’une anecdote combien le peuple athénien avait l’oreille fine et délicate ; il montait au Pnyx, non pas seulement pour exercer son droit d’initiative et de contrôle, mais aussi pour se donner une jouissance littéraire, pour trouver là ce vif et indéfinissable plaisir que l’on éprouve à entendre bien parler une langue souple, riche, harmonieuse et cadencée. Tel artisan qui n’avait jamais pris la parole dans le sénat ni dans l’assemblée était un amateur passionné du beau langage, un pointilleux critique. Nous verrons plus tard, quand sera née la rhétorique, quelle patiente préparation s’imposaient ceux qui se destinaient à parler au peuple, quel prix ils payaient pour s’assurer les leçons de maîtres comme les Gorgias et les Protagoras, les Isocrate et les Isée. Après ce noviciat théorique venait l’éducation pratique, celle que l’on acquérait sur le Pnyx, dans le sénat, dans les magistratures, en écoutant les orateurs accrédités déjà et applaudis, en s’exerçant à parler le langage des affaires. Pour s’astreindre à tous ces travaux, il fallait presque toujours d’abord une aisance qui pût payer de coûteuses leçons et fournir aux dépenses d’une sorte de stage qui durait plusieurs années ; il fallait de plus, outre d’heureux dons naturels, quand la parole devint un art qui eut ses règles et ses maîtres, l’étude de la rhétorique complétée par l’expérience personnelle, par le maniement des hommes et des choses. Dans de telles conditions, le nombre des orateurs ne pouvait être que très restreint. En droit, la tribune était ouverte, comme le proclamait la voix du héraut, à tous les Athéniens que n’avait point frappés une condamnation judiciaire ; mais en fait on ne comptait guère à la fois, à un moment quelconque de la vie d’Athènes, qu’un bien petit nombre de personnes qui abordassent habituellement la tribune. Les orateurs formaient ainsi un groupe à part, composé d’hommes politiques qui, sans titre officiel,