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Plus l’armée coalisée s’avançait vers l’intérieur de la France, plus Goethe voyait de dangers s’accumuler autour d’elle. L’avantage remporté un instant par les Autrichiens sur un lieutenant de Dumouriez qui s’était laissé surprendre au défilé du Chêne-Populeux n’avait ni empêché le général français d’occuper une position très forte, ni prévenu sa jonction avec Kellermann. Dans ce pays montagneux et boisé dont nous n’avons pas su nous servir en 1870, un véritable homme de guerre montrait le parti qu’on peut tirer des difficultés du terrain, même avec de jeunes troupes, même après un premier revers et le lendemain d’une panique. Changeant de plan aussitôt que sa combinaison primitive eut échoué par la faute d’un subalterne, il renonçait à couvrir Paris derrière des défilés qu’il ne pouvait plus défendre, pour se placer résolument entre l’armée d’invasion et l’Allemagne. Il obligeait ses adversaires, ou à laisser couper leur ligue de retraite, ou à l’attaquer lui-même sur un champ de bataille choisi par lui. Goethe assista toute la journée à la canonnade de Valmy, et se laissa même emporter par une sorte de curiosité scientifique, pour mettre ses nerfs et son courage à l’épreuve, jusqu’au bastion de la Lune, où pleuvaient les boulets. De là, on apercevait nettement les fortes positions qu’occupaient les Français, rangés en demi-cercle sur un immense amphithéâtre, sur des hauteurs que les alliés ne pouvaient aborder qu’en traversant des rivières, des étangs, des ruisseaux et des marais. Le duc de Brunswick, malgré sa confiance dans ses vieilles troupes et le mépris qu’il professait pour les volontaires de la révolution, n’osa pas commander l’attaque, et se contenta de canonner de loin les Français sans engager son infanterie sur un terrain si dangereux. Dès qu’il reconnaissait ainsi son impuissance, la bataille était perdue pour lui ; il ne lui restait plus d’autre ressource qu’une retraite difficile à travers les plaines boueuses de la Champagne.

Par une belle combinaison stratégique, Dumouriez venait de sauver la France presque sans effusion de sang. Il avait suffi à cet habile tacticien de montrer à l’ennemi le champ de bataille sur lequel il l’attendait et de déployer ses troupes pour faire reculer les 80,000 hommes de la coalition. Goethe peint très énergiquement la consternation de l’armée prussienne le soir de la canonnade de Valmy. — Le matin, on ne pensait qu’à mettre en broche et à manger tous les Français ; la nuit venue, chacun regagnait tristement son bivac humide, livré aux pensées les plus douloureuses. Comment se terminerait cette campagne si imprudemment engagée ? comment sortirait-on de la position dangereuse où l’on s’était aventuré ? Les vivres d’ailleurs manquaient ; les plus heureux ne parvenaient à se procurer que du pain de munition. Les tentes étaient