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ne résistait pas. Il n’y a guère eu de victimes parmi les bourgeois, si ce n’est pendant les deux bombardement de Longwy et de Verdun. À Longwy, Goethe entra dans une boutique où plusieurs grenades étaient tombées ; on lui montra les meubles brisés, la boiserie brûlée, et au fond d’une chambre un berceau qui avait été atteint juste au moment où la mère emportait son enfant. À Verdun, des fusées incendiaires avaient embrasé plusieurs maisons durant la nuit ; les assiégeans suivaient avec leurs télescopes les progrès de l’incendie et les vains efforts que faisaient les habitans pour éteindre les flammes ; ils distinguaient même les chevrons qui s’écroulaient sur la tête des assiégés. Peu de personnes cependant succombèrent ; les habitations souffrirent plus que les habitans. Quelques villages aussi furent cruellement traités par les coalisés. Ou leur appliqua dans toute la rigueur les termes du manifeste du duc de Brunswick, dont le roi de Prusse paraît s’être inspiré dans la proclamation qu’il nous adressait au mois d’août dernier en pénétrant sur le territoire français. « Les habitans des villes, bourgs et villages, disait le généralissime de la coalition, qui oseraient se défendre contre les troupes de leur majesté impériale et royale et tirer sur elles, soit en rase campagne, soit par les fenêtres, par les ouvertures de leurs maisons, seront punis sur-le-champ suivant la rigueur du droit de la guerre, et leurs maisons démolies ou brûlées. » Goethe ne nous dit pas si l’on arrêta et si l’on fusilla des paysans, mais il vit sous ses yeux brûler plusieurs villages dont on accusait les habitans d’avoir tiré sur les troupes. Cette scène terrible lui rappelait des paysages de Van der Meulen où l’on voit des colonnes de fumée s’élever au milieu de quelques groupes de cavaliers. Il ajoute aussitôt que la sévérité de cette exécution militaire fut blâmée autour de lui, et qu’on s’efforça de la réparer en protégeant contre l’avidité des soldats les vignobles des propriétaires de la Champagne.

Ainsi, il y a quatre-vingts ans, l’esprit le plus éclairé de l’Allemagne ne trouvait pas qu’il fût juste de pousser le droit de la force jusqu’à mettre à mort les paysans qui défendaient leur pays, ni même jusqu’à incendier leurs habitations. Qu’eût-il dit, s’il avait pu prévoir que le temps, les progrès de l’instruction populaire, les relations de plus en plus fréquentes des peuples entre eux, au lieu d’inspirer à ses compatriotes des sentimens nouveaux d’humanité, ne les empêcheraient pas de recommencer, près d’un siècle plus tard, une guerre plus cruelle et plus inhumaine que celle de 1792 ?

Qui se serait attendu du reste à un tel résultat ? Ceux même qui croient le moins au progrès de l’espèce humaine ne pouvaient fermer les yeux sur le rapprochement qu’amenaient entre les hommes toutes les découvertes de l’industrie moderne. Il ne se construisait