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des Vosges la qualité de combattans, sous prétexte que les commissions de leurs chefs ne leur sont point délivrées par un gouvernement dont l’ennemi les sépare. Ne voit-on pas qu’on arrive ainsi à la guerre d’extermination, et qu’on autorise toutes les représailles ? Si les commandans prussiens font fusiller les francs-tireurs qui auront été pris les armes à la main, les francs-tireurs à leur tour, — et on dit qu’ils l’ont déjà fait, — n’accorderont de quartier à aucun Allemand, civil ou militaire, qui tombera entre leurs mains.

Nos ennemis auront aussi quelque peine à se justifier de la mesure qu’ils ont prise aux environs de Strasbourg et de Paris en forçant nos paysans à travailler avec leurs soldats aux retranchemens qu’ils élèvent sous le feu de notre artillerie, en exposant des citoyens inoffensifs au danger d’être tués par leurs compatriotes en même temps qu’à la douleur de servir une autre cause que celle de leur pays. Que dire encore du traitement promis à ceux qui essaieraient de franchir les lignes prussiennes, même en ballon ? C’est là une de ces nouveautés, inconnues en 1792, qui aggravent les rigueurs de la guerre en les étendant à une classe de personnes auxquelles on ne les appliquait point jusqu’ici. Il a toujours été de droit constant que, dans le cas de blocus d’un port, si un navire essayait de forcer le passage et se faisait prendre, son équipage ne courait d’autre danger que celui d’être retenu comme prisonnier de guerre. Il n’est point question en pareil cas de traduire les prisonniers devant une cour martiale et de les menacer d’une condamnation à mort. Si la mer n’appartient à personne, si l’on ne considère point comme un attentat d’essayer de la franchir, l’air appartient-il à M. de Bismarck ? Est-ce un crime de le traverser au-dessus de sa tête ? Expiera-t-on dans les forteresses de l’Allemagne ou sous les balles prussiennes la faute d’avoir voulu porter des nouvelles de Paris assiégé aux milliers de cœurs français qui les attendent avec angoisses ? Nous ne reconnaîtrions même pas ce droit, s’il s’agissait d’un messager arrêté sur la route de terre. On peut se saisir de lui, le retenir comme prisonnier, on ne peut ni le juger, ni le condamner. Un savant jurisconsulte assimile très justement ceux qui seraient pris à la sortie d’un ballon aux naufragés qu’une tempête jetterait sur la côte ennemie. On ne traduit pas un naufragé devant un conseil de guerre, on ne le menace pas de le condamner à mort. On l’arrête, on le désarme, quelquefois même on a pitié de lui, comme d’un envoyé de Dieu, et on lui rend la liberté. Cela s’est vu lorsque la Prusse n’avait pas encore d’histoire, et ne remplissait pas encore le monde du bruit de sa civilisation.

Des peuples étrangers à la métaphysique et à la philosophie