Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle a opposé aux tendances socialistes, maximistes ou ultra-réglementaires de certains administrateurs de fraîche date, grâce encore à cette « force des choses » qui excelle à redresser les erreurs de doctrine et à corriger les fautes de conduite, le gouvernement s’est tiré jusqu’à présent à son honneur de la tâche difficile que lui imposait l’alimentation de Paris pendant le siège.


II.

Dès le commencement du mois d’août, la question de l’approvisionnement de Paris en vue d’un siège était posée au corps législatif, des achats considérables de bétail, de céréales, de légumes secs, de riz et de conserves étaient ordonnés pour le compte du ministère de l’agriculture et du commerce ; les habitans de la banlieue étaient invités à se réfugier dans Paris avec leurs approvisionnemens, et l’on recommandait particulièrement à ceux qui possédaient des meules de blé en gerbes de les transporter sans retard dans l’intérieur de l’enceinte fortifiée. Enfin, après la funeste journée de Sedan, l’administration engageait les « bouches inutiles » à quitter Paris, et appelait l’attention des habitans sur la nécessité de se munir de provisions de ménage. L’encombrement causé par les mouvemens des troupes et le transport des munitions de guerre sur les lignes de chemins de fer empêchèrent en partie ces prescriptions d’être suivies, et d’un autre côté il fallut quelque temps à la population pour s’accoutumer à l’idée que les Prussiens étaient réellement en marche sur Paris. Cette invasion foudroyante lui faisait l’effet de quelque sinistre cauchemar, et les pessimistes eux-mêmes ne croyaient point à la possibilité d’un blocus hermétique prolongé pendant plusieurs mois. On croyait que l’ennemi essaierait de se rendre maître d’un fort, de façon à commander un des côtés les plus faibles de la place, et l’on se préparait avec plus de curiosité que de frayeur à subir un bombardement ; mais ni les assiégés peut-être ni les assiégeans, les correspondances des soldats allemands avec leurs familles en font foi, ne s’imaginaient que le siège de Paris durerait tout un long hiver. Le gouvernement, le commerce et les particuliers n’avaient donc pas fait tous les préparatifs que nécessite un blocus ; les provisions ordinaires de l’épicerie parisienne par exemple venaient seulement d’être commandées à l’époque de l’investissement. Heureusement le commerce parisien a des fonds de magasin qui ressemblent un peu à la bourse de Fortunatus ; on y puise sans cesse, sans en voir la fin. Cette réponse d’un épicier à une cliente qui lui demandait des confitures n’est elle point caractéristique ? — Des confitures ! Il ne m’en reste plus ; mais j’en ferai demain. — On n’a plus de confitures, plus de beurre.