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nait à douter de la possibilité de les défendre. Dans les esprits comme dans les choses rien ne paraissait prêt. Point de personnel spécial pour l’artillerie et partout un matériel insuffisant, point d’armement et à peine quelques dispositions pour la guerre. Les plates-formes pour les canons restaient à établir, les affûts à monter, les embrasures à ouvrir, les pièces à mettre en place, les projectiles à compléter et à approvisionner, les gargousses également étaient à faire. Dans les travaux du génie, même vide, même négligence, même défaut d’entretien ; ces services étaient si mal dotés ! Pas une traverse sur les bastions, pas un masque devant les portes, pas un pare-éclat dans les cours, pas une palissade, pas un gabion, pas un saucisson. On voyait là un témoignage de plus de cette présomptueuse confiance qui nous a livrés désarmés à des insultes et à des déprédations sans bornes. Dans Paris comme ailleurs, nous n’avions que les apparences de la force. Pour compléter l’instrument de la défense, il y avait à remuer d’énormes masses de terre, à débiter des quantités considérables de bois, sans compter les installations accessoires. Toute minute comptait, et les premiers ouvriers embauchés dissipaient de longues heures dans des stations au cabaret par une trahison inconsciente des besoins de la défense : c’est ainsi que les ouvrages de Montretout, de Châtillon et de Sèvres, inachevés, sont tombés entre les mains de l’ennemi. Qui ne se souvient de ces scènes et qui n’en a gémi ? Que de gens et des meilleurs, des plus sincères, ont craint que ces services en souffrance ne pussent pas être suppléés à temps et ne nous laissassent à découvert au moment critique !

Le grand mérite de la marine est d’avoir, au milieu du vertige général, gardé un sang-froid exemplaire, d’être restée ferme dans son devoir quand tant de gens oubliaient le leur. On lui avait confié les forts de Paris, elle prit à cœur de les mettre en bon état de défense ; ailleurs on menait mollement les travaux, elle conduisit avec la plus grande vigueur ceux dont elle était chargée. Cette tâche l’absorbait, et elle y avait pris goût ; les émotions, les incidens du dehors, n’avaient pas la puissance de l’en détourner. Pourtant, au dedans des remparts, des tableaux étranges se succédaient, manifestations patriotiques sur la place de la Concorde, manifestations révolutionnaires devant l’Hôtel de Ville, défilés de corps nouveaux qui depuis sont devenus sous nos yeux une solide armée, et qui alors n’étaient que des ébauches : mobiles de Paris et des provinces, bataillons de marche sans cohésion suffisante et composés en partie d’échappés de Sedan, fractions de deux contingens et recrues des levées extraordinaires, enfin garde nationale formant ses détachemens de guerre pour aller combattre hors de l’enceinte. Que d’oc-