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vaient oser et risquer davantage, s’associer mieux à l’attitude si résolue du pays qui allait jouer sa dernière carte dans une partie trop légèrement engagée. Il y a eu dans les deux flottes des accès de découragement, d’engourdissement, si l’on veut ; mais comment s’y soustraire ? Nos marins sont après tout des hommes ; ils ont leurs faiblesses. Qu’on se les figure à plus de cent lieues du théâtre des événemens, isolés, n’ayant avec nous que des communications tronquées et irrégulières, quand chaque jour l’écho de nos frontières retentissait d’un nouveau désastre : Wissembourg, Reischofen, les combats sous Metz, la capitulation de Sedan. Que d’ébranlement successifs ! Que d’angoisses accumulées en moins de trente jours, d’échecs subis, de menaces à l’intégrité de notre territoire ! Nos officiers et nos marins ne devaient pas avoir alors une grande liberté d’esprit. Leur séquestre, on dirait presque leur exil, loin des grands courans de l’opinion, leur pesait surtout, et devait leur rendre plus amers ces affronts et ces périls ; même près d’eux, les pires influences prévalaient : on voyait croître le vide qui s’opère autour des vaincus, et un sentiment de compassion pire qu’une malveillance ouverte. Le Danemark, enthousiaste au début, était devenu indifférent ; l’humeur agressive de l’Angleterre avait dégénéré en une ironie blessante. Dans les flottes même, une sorte de décomposition survint avec le changement de régime qui suivit Sedan ; l’un des deux chefs d’escadre venait d’être nommé ministre de la marine, l’autre, sentant que sa position était devenue délicate, résigna ses fonctions. Que dans cet interrègne et cette disposition des esprits il y ait eu quelques négligences, quelque relâchement dans le blocus, qu’on n’ait pas tiré de ces flottes, qui ont tant coûté à construire, à entretenir, à équiper, tout le parti qu’on en pouvait tirer, c’est ce qu’on ne saurait contester. Les événemens peuvent être un palliatif, il n’en reste pas moins constant que cette force navale, sur laquelle on comptait beaucoup, n’a pas produit la somme entière de ses effets. Naturellement cette impression s’arrête à la date de l’investissement ; au-delà commence la période des hypothèses, et de ce feu croisé de nouvelles empruntées tantôt à l’Allemagne, tantôt à l’Angleterre, si perfidement présentées, pleines de telles contradictions qu’elles semblent imaginées pour nous troubler le jugement. ïl paraît pomtant que, depuis l’envoi de nouveaux chefs d’escadre, le service du blocus est reconstitué, et qu’une certaine impulsion a été donnée aux croisières de la Mer du Nord. Quant à la Baltique, par les froids qui sévissent, elle doit être le domaine des glaces ou le siège de tempêtes de neige si redoutables vers le solstice d’hiver. Il est à croire que les opérations y sont au moins interrompues. L’activité en revanche se porte ailleurs ; la portion de la marine disponible