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çaises (Hegel n’est que conséquent avec son système quand il a la bonne grâce de le reconnaître) ; mais d’autres idées françaises, ou plutôt les idées mères de celles dont nos soldats se faisaient les missionnaires s’étaient déjà répandues dans toute l’Europe depuis plus d’un siècle, et les armées de l’ancien régime n’étaient pour rien dans cette diffusion ; quelques livres avaient tout fait. Dans le temps même où les conquêtes de la France contribuaient doublement au mouvement libéral de l’Allemagne par les idées qu’elles propageaient et par la haine qu’elles excitaient contre les envahisseurs étrangers, l’influence intellectuelle de l’Allemagne s’étendait peu à peu parmi nous, non par un échange de pensées entre les soldats des deux pays, mais par l’intermédiaire pacifique de quelques écrivains qui, sans être insensibles à la gloire de nos armes, étaient loin de compter parmi les instrumens ou les courtisans du conquérant.

M. Cousin, s’inspirant de Hegel ne voit rien de plus grand dans l’histoire que les victoires qui ont assuré la suprématie de la Grèce sur l’Asie : Salamine, Platée et surtout Arbelles. La lutte contre l’Asie est en effet dès la naissance de l’histoire, dans Hérodote et dans Thucydide, comme l’idée directrice des destinées de la Grèce ; mais Salamine et Platée n’ont été que des victoires défensives. Arbelles a décidé la conquête de l’Asie par Alexandre ; mais qu’ est-il résulté de cette conquête ? Un empire éphémère, au moins dans son unité, sans beaucoup de profit pour les idées grecques compromises plutôt que servies par cette Prusse de l’antiquité, comme on a si bien appelé la Macédoine. Elles ne s’étendent désormais que dans l’Occident, où la Grèce va bientôt trouver des maîtres, Quant à l’Orient soumis, il ne devient pas hellénique ; c’est le monde hellénique au contraire qui s’ouvre aux idées orientales. Elles l’envahissent de plus en plus, jusqu’au moment où des hordes asiatiques font à leur tour la conquête de la Grèce, et où la Grèce n’est plus qu’une des contrées de l’Orient. Et que deviennent ces nouveaux empires orientaux qui se sont élevés sur les ruines de l’empire grec ? ils subissent tous une décadence rapide, non par la force des armes au service d’une civilisation supérieure, mais par les germes de faiblesse ; et de mort qu’ils portent dans leur sein. Telle est la loi constante de l’histoire, Les moyens matériels préconisés par Hegel, les victoires, les conquêtes, la force primant le droit, ne décident pas du sort des peuples. Il n’est pas besoin d’un conquérant pour faire tomber en poussière un peuple qui ne garde plus que les apparences de la vie, et les plus brillans faits d’armes, dirigés par la politique la plus ambitieuse, ne suffisent pas pour fonder la grandeur d’un peuple, s’il ne porte pas en lui une vitalité puissante et durable.