Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

santes des communications, et la nécessité de s’étendre au milieu de populations exaspérées ? Est-ce que les Prussiens, malgré leurs avantages, sont si assurés d’une victoire définitive ? Pour eux comme pour nous, tout est incertitude ; pour ceux qui sont en apparence victorieux comme pour ceux qui sont réduits à se défendre, l’année nouvelle s’ouvre pleine de mystère et d’inconnu.

À mesure cependant que cette lutte se prolonge, il y a un sentiment qui grandit dans tous les cœurs ; on se demande où est le terme d’une telle guerre, pourquoi on combat encore, ce que signifient ces effroyables effusions de sang humain et ces exterminations qui dépassent toute mesure. Pourquoi la Prusse s’obstine-t-elle dans la guerre ? Ce n’est plus certainement désormais pour la sûreté, pour la grandeur et le prestige de l’Allemagne. L’Allemagne est en sûreté pour longtemps, son indépendance et sa liberté sont à l’abri de toute atteinte ; son vrai bouclier, c’est la puissance qu’elle vient de manifester. Est-ce parce qu’elle n’a eu ni les moyens ni l’occasion de faire la paix que la Prusse s’obstine dans cette implacable guerre ? Ni l’occasion ni les moyens ne lui ont certes manqué depuis quatre mois ; elle a pu en finir honorablement, équitablement, de ce désastreux et inutile conflit. Une première fois M. Jules Favre est allé à Ferrières, non point sans doute en plénipotentiaire humilié, mais en représentant d’une nation fière qui peut avouer ses défaites, offrir à M. de Bismarck la plus belle occasion de réconcilier la France et l’Allemagne dans une juste et généreuse transaction ; il a essuyé le refus hautain et ironique de la force qui se croit tout permis. Une seconde fois les puissances neutres de l’Europe, avec la modestie qu’elles semblent mettre désormais dans leur politique, ont cru devoir faire arriver au camp prussien une proposition d’armistice qui pouvait devenir un acheminement vers la paix ; M. de Bismarck a eu tout au plus l’air d’écouter ce qu’on lui disait, et il a bientôt soufflé sur cette dernière espérance pacifique. Ce n’est donc ni pour la grandeur légitime de l’Allemagne, ni parce qu’elle n’a pas pu arriver à une paix honorable, que la Prusse se fait un jeu cruel de prolonger cette lutte ruineuse. Il n’y a désormais qu’un mobile, une cause et un but, c’est la conquête ; M. de Bismarck ne veut pas se retirer sans avoir dévoré un morceau de territoire, et il lui faut à tout prix des annexions, un démembrement de la France. Que les provinces qu’il convoite résistent à ses séductions comme à ses violences, qu’elles tiennent avant tout à rester françaises, peu lui importe, il les occupera, il les ravagera, il les domptera, s’il peut, et les traitera comme la Russie traite la Pologne ; l’essentiel pour lui est qu’il garde cette proie qu’il s’est promise, et à l’aide de laquelle il s’est assuré l’alliance des âpres convoitises allemandes. C’est pour cela, et uniquement pour cela, qu’il continue cette guerre, qu’il a poussé ses bataillons sur nos provinces. C’est pour satis-