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tout bien plus libéral. Cette couronne, on l’avait déjà ébauchée à Sadowa aux dépens de l’Autriche, on croit aujourd’hui le moment venu de l’achever par la guerre contre la France. Le mot d’ordre est donné ; le parlement fédéral, qui s’est récemment réuni à Berlin, n’a pas manqué de se prononcer sur la nécessité urgente de rétablir la dignité impériale au profit des Hohenzollern. Il n’est pas jusqu’au petit roi de Bavière qui, en vassal empressé de subir le joug, ne se soit hâté d’écrire à son « cher frère et cousin » le roi de Saxe pour lui proposer de « suggérer à sa majesté le roi de Prusse que le titre d’empereur d’Allemagne soit désormais attaché à l’exercice de la présidence de la confédération. » Ce jeune prince, dont les excentricités amusaient naguère Munich, aura cru sans doute tresser une couronne pour son ami Wagner, l’auteur du Lohengrin ; il se sera trompé, et il a envoyé sa couronne au roi de Prusse ! Il y a bien encore au-delà du Rhin quelques dissidences viriles, et même des protestations ; mais le mouvement est lancé, les députations se succèdent auprès du roi Guillaume, et une commission du parlement fédéral lui-même a dû arriver à Versailles.

Que ducs, grands-ducs, princes, landgraves, diplomates ou membres du parlement de Berlin défilent à Versailles, ils font leur métier. Il y a une visite, nous ne le cachons pas, qui nous a semblé un peu plus étonnante, c’est celle de l’archevêque de Posen, le comte Ledochowski. L’archevêque de Posen n’a pas craint de faire, lui aussi, son voyage pour venir saluer le roi Guillaume dans sa puissance. Il est vrai qu’il s’agissait de demander au roi de Prusse d’employer cette puissance nouvelle à restaurer le pouvoir temporel du pape. La démarche n’est pas moins étrange pour un prélat catholique, pour un Polonais surtout, qui, avec un peu de réflexion, eût compris qu’il ne pouvait paraître au camp d’un roi de Prusse au milieu de la France envahie. Puisque M. Ledochowski est allé à Versailles plaider pour les droits du pape, il n’aura pas manqué sans doute de proposer au roi Guillaume de rétablir ses provinces polonaises dans leur indépendance, qui n’est pas moins légitime, et il lui aura rappelé aussi qu’on ne verse pas le sang des hommes pour arriver à démembrer un grand peuple. S’il n’a pas fait cela, sa démarche peut être d’un bon courtisan prussien, elle n’est certes ni d’un prélat catholique ni d’un Polonais ; elle restera comme un inconvenant hommage rendu à la puissance victorieuse.

Non, tout n’est pas beau dans ces crises qui mettent à nu l’état moral d’un continent. Les hommes et les gouvernemens offrent parfois de tristes spectacles. Le roi Guillaume peut, si cela lui convient, recevoir dans nos villes ses archevêques qui viennent lui demander d’intervenir pour le pape, ses diplomates occupés à brouiller tous les fils des affaires européennes, les membres de son parlement qui viennent le solliciter humblement de ceindre la couronne impériale ; il peut se donner les dehors