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cus ! ne pas abaisser notre épée ! N’est-ce pas manquer aux règles les plus strictes du combat singulier entre gens comme il faut, du duel au premier sang ?

Ils oublient, ce roi et ce chancelier, qu’entre eux et nous depuis septembre il n’en est plus question, de cette sorte d’escrime, que le duel est à mort, le combat à outrance. Qui l’a voulu ? est-ce nous par hasard ? Il leur plairait d’en être quittes, je le comprends, le temps leur semble long, l’hiver commence à être rude, et puis c’était avec la France impériale qu’ils entendaient croiser le fer, et c’est une autre France qu’ils trouvent sur le terrain. M. de Bismarck évidemment ne peut encore y croire. Ses souvenirs de Biarritz le troublent et le déroutent. Il lui faut des Français de ce temps-là, songeant à leurs affaires, soigneux de leur bien-être, s’abritant de l’émeute sous l’aile d’un sauveur. Où sont-ils, ces Français ? Que sont-ils devenus ? Ces Français-là se cachent ou se sont transformés. Il n’y peut rien comprendre. Mais lui du moins déguise sa surprise et ne la montre qu’à mots couverts, tandis que le monarque dit les choses avec plus de candeur. Le genre naïf est son triomphe. Vous avez lu cette paternelle proclamation en date du 6 décembre, allocution du prince à ses soldats, et vous êtes touché, j’en suis sûr, des sentimens qu’il y exprime à l’égard de nos laboureurs. Comprend-on ces gens-là ! Courir aux armes, et laisser là ces paisibles travaux des champs si bien protégés par la Prusse ! Je regrette vraiment que nous ayons l’âme si triste ; il y aurait de quoi rire dans cette idylle de caserne, et de quoi s’indigner aussi ! Notez que c’est en décembre, après cinq mois de vol à main armée ! Le chef de bande oser dire à sa troupe : « Ayez confiance, car votre cause est juste ! » Que dites-vous de ce mot juste ? Ceci n’est plus du genre naïf, c’est du genre révoltant. Jusqu’à Sedan, si bon leur semble, qu’ils parlent de leur juste cause, je leur concède l’apparence, mais l’apparence seulement, car, s’il fallait aller au fond des choses, je soutiens que les vrais agresseurs, les spoliateurs en espérance, les convoiteux du bien d’autrui, n’étaient pas de ce côté du Rhin. Redoublement d’espionnage, effort démesuré d’armement, tout le dit, les preuves surabondent. N’importe, l’ineptie du pilote engage le navire : le nôtre a si bien fait qu’il s’est mis dans son tort, passons condamnation ; mais une fois hors de Sedan, cette harangue en convient elle-même, la guerre est entrée dans une phase nouvelle ; elle a changé de prétexte et de but. Changeons donc aussi les paroles, n’appelons pas justice ce qui n’est que brigandage. N’y aura-t-il pas dans toute cette armée, parmi ces automates, une seule voix libre qui réponde à ce roi : « Confessez donc la vérité ; dites-nous que, depuis Sedan, c’est vous qui êtes l’agresseur, que vous faites aujourd’hui ce qu’hier vous reprochiez aux Français. Dites-nous que c’est votre orgueil qui nous traîne à la boucherie. » Nous aussi, nous Français, nous avons eu cette triste fortune de nous