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REVUE. — CHRONIQUE.

laisser conduire à de pareils attentats, séduits par le génie ; — n’insistons pas sur cette circonstance, pour tout le reste il y a similitude. — Notre chef, comme le roi Guillaume, parlait à ses soldats, mais lorsqu’il les poussait à la violence et au mépris du droit, qu’il fût à Berlin ou à Vienne, il ne leur parlait pas comme un saint ; il leur parlait de gloire, de récompense, de titres et d’honneurs ; ce mot sacré, ce mot justice, il avait au moins la pudeur de ne le prononcer jamais. Est-il rien d’aussi misérable que la force brutale s’enveloppant d’hypocrisie ? Ne lui suffit-il pas d’inspirer la terreur ? qu’a-t-elle besoin d’y joindre le dégoût ?

Mais je suis bien ingrat de faire à ce royal discours un si rude procès, car je lui dois assurément la plus douce, la plus profonde joie qui depuis longtemps me fût entrée au cœur. C’est lui qui le premier, et en termes authentiques, avec l’autorité d’un ennemi contraint par l’évidence à dire la vérité, m’a donné ce consolant avis que notre France, depuis plus de trois mois que nous sommes séparés d’elle, enfante des prodiges, qu’elle nous tient parole, et soutient sa querelle aussi résolument que nous. Jusque-là, pour y croire, nous n’avions d’autre document que certains rapports confus dont l’emphase méridionale infirmait tant soit peu la teneur officielle, ou bien d’autres récits de source encore moins sûre. Nous avions, il est vrai, encore un témoignage, cette prise d’Orléans qui nous avait comblés de si juste allégresse ; par elle, nous avions su que l’armée de la Loire n’était pas un vain mot, que l’ennemi n’était pas invincible, mais rien de plus, — rien d’exact, rien de précis. Cette victoire elle-même, qu’était-elle ? Une heureuse surprise ou bien le résultat de combats sérieux ? nous faisait-elle connaître ce que valait l’armée, quelle en était la force et la solidité ? Non, sur tous ces points nous en étions toujours réduits aux conjectures. Nous sentions même que notre joie devait être fragile, car presque en même temps que la bonne nouvelle nous avions su que les bords de la Loire seraient bientôt le rendez-vous des masses ennemies devenues libres par la chute de Metz. De là presque aussitôt de vives appréhensions, et, lorsque M. de Moltke eut l’extrême obligeance de nous apprendre sans délai qu’elles étaient confirmées, sa dépêche n’étonna personne parmi ceux qui jugeaient les choses sainement, et même elle rassura ceux qui surent la lire comme il fallait ; mais que d’esprits chagrins et aux instincts timides conclurent de cet échec que nous avions été déçus par un mirage, que la France après tout faisait la sourde oreille, et que jamais cette armée de la Loire n’avait réellement existé !

Aussi, lorsqu’il y a huit jours, la veille de Noël, dans les colonnes du journal officiel, mes yeux tombèrent sur la proclamation adressée de Versailles aux soldats des armées confédérées allemandes, je ne puis vous dire l’étonnement radieux où me jeta cette lecture. Le monarque lui-même dissipait tous les doutes. Il attestait que, des trois phases où