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L’ARTILLERIE DEPUIS LA GUERRE.

pendant que la Prusse triplait en six ans le nombre de ses soldats et nous dénonçait effrontément à l’Europe comme des ambitieux insatiables, il y avait en France des gens, trop honnêtes pour admettre l’idée du mal, trop sincères pour n’être pas convaincus de la valeur de leurs idées et de l’efficacité de leurs théories, qui prêchaient incessamment à la tribune, dans les journaux et dans les réunions, le retour aux mœurs innocentes des temps primitifs, la fraternité universelle, l’abolition de la guerre, et comme point de départ celle de l’armée permanente.

La guerre est assurément une affreuse chose, et l’armée coûte cher. Les argumens irrésistibles ne leur manquaient certes point pour porter dans les esprits la conviction qui les animait. L’entretien de l’armée absorbait le plus clair du revenu de la France. L’armée enlevait au vieux père son appui, à la mère sa consolation, à la jeune fille son fiancé. L’armée était la vraie, l’unique cause de l’arrêt de développement remarqué dans la population de la France. L’armée, et non pas l’industrie, dépeuplait les campagnes et menaçait de compromettre l’essor de notre agriculture. L’armée était une école de fainéantise, d’ignorance, d’abrutissement et de mauvaises mœurs. L’armée était une perpétuelle menace à la liberté. Toutes ces belles choses, commentées, accentuées, envenimées dans les cafés et les cabarets, ont naturellement produit peu à peu l’effet qu’on pouvait attendre, et cet effet a certainement dépassé les espérances des philanthropes naïfs qui ont commencé l’agitation contre l’armée. Ils ne voulaient pas que la France devînt une caserne. Ils doivent aujourd’hui reconnaître qu’ils ont admirablement réussi.

Les idées du maréchal Niel sur le recrutement de l’armée et sur l’institution de la garde mobile ayant échoué contre les théories humanitaires et économiques des amis de la paix, par l’égoïsme de la masse des représentans du pays, uniquement préoccupés de leur popularité et de leur situation électorale, nous sommes entrés en campagne avec 240,000 combattans, chiffre net d’un effectif général de sept classes de 100,000 hommes, réduites par les exemptions légales et le service de la flotte à 530,000 hommes, — par les non valeurs organiques, états-majors des places et des établissemens, gendarmes, cavaliers de remonte, vétérans, soldats d’administration, compagnies de discipline, à 450,000, — par les garnisons d’Afrique et d’Italie, à moins de 400,000, — enfin, par les dépôts nécessaires des régimens et par le déchet produit en sept ans sur l’ensemble des inscrits, au chiffre de 270,000, dont 30,000 au moins étaient encore en route au moment de nos premiers et irréparables revers à Reischofen et Forbach. Et ces 240,000 hommes étaient disséminés depuis Lyon jusqu’à Thionville ! La garde impériale, les