Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaient, et la Prusse était sauvée. La France s’est plus vaillamment conduite, et elle n’est pas tombée, grâce à la résistance de Paris fortifié. Oui, si la France, après Sedan, n’a pas été saisie comme une proie sans défense, si la vieille nation vaincue, accablée, éperdue, n’est pas morte sur le coup, si elle a eu le temps de se reconnaître et de se remettre debout, c’est parce que la capitale avait reçu d’un gouvernement prévoyant une ceinture inexpugnable de forts et de remparts.

Les murs, les pierres et les canons n’auraient pas suffi cependant ; il y a eu derrière les remparts des défenseurs résolus de l’ordre public et de l’honneur français. Qui sont-ils ? — Ce sont des enfans de Paris unis à des enfans de province, c’est la garde nationale, la garde mobile, l’armée, la marine, un mélange improvisé de tous les membres des diverses parties de la nation. Devant ce mémorable fait, les vieilles rancunes de Paris et de la province doivent expirer et rentrer enfin dans l’oubli d’un passé évanoui, expié, désormais sans retour. « Les liens de la parenté commune se resserrent si vite dès qu’on souffre en commun, » a dit avec éloquence M. Vitet dans une de ces lettres fortifiantes que la Revue publie si à propos depuis le commencement du siège. Paris et province, nous souffrons en commun, les uns avec les autres, les uns pour les autres. Les Bretons et les Bourguignons, les Picards et les Vendéens défendent Paris, et pour qui se bat Paris ? Pour la France. Il n’est plus question des anciennes querelles, des reproches que la minorité de la chambre adressait à la majorité, et les combats en commun ont fait évanouir les vieux fantômes. Paris avait peur du spectre noir, et il a vu que ces Bretons et ces Vendéens dont il avait dit tant de mal craignaient d’autant moins le canon qu’ils craignaient Dieu davantage ; il a vu des paysans armés mourir comme des héros, dans la simplicité, dans la tranquillité du devoir accompli. La province, à son tour, avait peur du spectre rouge, et elle a vu le parti républicain, dont le nom seul la faisait trembler, se diviser en trois catégories : les grands et vrais patriotes, dignes du respect de tous, — les incapables, pliant sous le poids de leurs fonctions, — les incurables, réduits au rôle des fanfarons et au rang des scélérats. Paris a dû renoncer à ses dédains ridicules, la province à ses terreurs exagérées. C’est la leçon du siège de Paris. Le lendemain, après cette seconde naissance de la patrie, après ce baptême de sang reçu en commun, comment aurions-nous encore la sottise de nous qualifier et de nous poursuivre des noms surannés de partis qui se seront confondus dans la lutte ? Comment pourrions nous ne pas nous reconnaître tous pour des Français de la veille ?

Le siège de Paris a forcé les provinciaux et les Parisiens à coucher les uns près des autres, sur la terre dure, et dans cette vie