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bitant de la rue Mouffetard naguère atteint dans sa mansarde par les projectiles que lui envoyait la batterie de Châtillon n’aurait-il pas usé du plus légitime des droits naturels, s’il avait pu atteindre à son tour de son fusil l’artilleur, l’officier, le général, qui massacraient sa femme et ses enfans dans son paisible réduit ? Fallait-il qu’il eût un uniforme pour exercer son droit de défense et de représailles ? Restreignez-vous dans les limites de la guerre régulière et politique, ou cessez d’invoquer des maximes de civilisation dont vous méconnaissez vous-mêmes la pratique. J’ai vu vos bombes frapper le Panthéon, elles visaient sa croix dorée ; j’ai vu frapper des monumens pieux, chefs-d’œuvre de l’art chrétien, la Sorbonne, les écoles. Cinq enfans ont été tués dans les classes des frères de la rue de Vaugirard ; les tombes de nos familles ont été dévastées au Mont-Parnasse, et cela en présence du souverain à qui l’on attribuait la désapprobation des actes dévastateurs de l’armée de siège de Strasbourg. C’est à rester confondu d’étonnement et de douleur. On a pu lire dans tous les journaux allemands la dépêche suivante, adressée à une princesse dont l’esprit délicat et la bonté sont connus de toute l’Europe : « le bombardement de Paris a commencé aujourd’hui par un splendide soleil d’hiver ! »

Une autre atteinte au droit naturel des populations éclairées ne manquerait pas de se produire, atteinte qui touche au droit même de la pensée, et qui menacerait la liberté de la transmission intellectuelle, si, ce qu’à Dieu ne plaise, l’Alsace pouvait être enlevée à la patrie française, et ramenée à coups de bombes et de boulets dans le bercail germanique. La Prusse travaillerait alors par tous les moyens à défranciser l’Alsace, et l’entreprise est même déjà commencée. Les actes publics, jadis imprimés et rédigés dans les deux langues, ne sont plus affichés aujourd’hui qu’en allemand. Le Times nous apprenait dès le 15 octobre qu’on voit partout l’indice que la langue française était destinée à être proscrite en Alsace dans le plus bref délai possible. Le journal officiel du nouveau gouvernement d’Alsace ne contient pas un mot de français. Dans les correspondances envoyées de Strasbourg, il n’y a plus de rue, plus de place qui conserve son nom français. Et cependant deux siècles et demi de possession française avaient rendu notre langue usuelle à Strasbourg, à Mulhouse, dans toutes les autres villes du pays. Une partie même de la population rurale avait été amenée de France en Alsace après la paix de Westphalie. La Prusse commencerait donc en Alsace la triste campagne de la Russie en Pologne. « Les Prussiens ont raison, disait le Times, et le premier moyen de regermaniser l’Alsace est de bannir la langue française comme un élément étranger et hostile. » Ainsi une violence conduirait à une autre, et l’oubli du droit à la persécution. Verrons-nous encore ce nouvel outrage