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sement des recettes, une révision sévère devra être faite de chacun des détails de l’énorme somme de 93 millions qui figurait jusqu’ici aux dépenses ordinaires. En un mot, les leçons de l’expérience et les exigences de l’économie imposeront une refonte entière des attributions, des recettes, des dépenses, des usages, de l’administration municipale de Paris, signalée sous l’empire par une immense activité dont je suis loin de blâmer tous les résultats, mais surprise par la guerre avec des travaux inachevés, des terrains non vendus, des dettes énormes, des ressources taries, des lois impraticables.

L’administration de Paris est liée à celle du département de la Seine. Pauvre département, qu’est-il devenu ? Les villages sont dévastés, les maisons brûlées, les routes effondrées ; les églises ont croulé sous la grêle des boulets ; les champs qui servaient de potager à la grande ville ont été foulés sous le pied des chevaux ; des tranchées et des barricades coupent les promenades et les vignes ; les jolis jardins, les bois, les parcs, qui faisaient à notre ville une ceinture si charmante, n’existent plus, et les habitans laborieux de la banlieue, réfugiés à la hâte dans nos maisons, ne retrouveront plus dans presque toutes les communes qu’une large zone désolée, couverte de débris, portant à jamais l’empreinte d’une des plus abominables dévastations dont l’histoire puisse conserver le souvenir. Quel sera le budget du département de la Seine après la guerre ? Quel sera le budget de Paris ? Aucune partie du territoire n’aura souffert davantage ; mais ce sont précisément ces dommages, ces plaies, qui recommanderont Paris à la France. La capitale ne sera plus cette ville aux mille lumières, sillonnée par les voitures élégantes, séjour du plaisir, du bruit, de la folie, de la richesse, de la vie facile. Elle se dressera comme un géant blessé, portant au front de nobles cicatrices, et à la main les lambeaux du drapeau national bien gardé. Tous les enfans de la province auront vu Paris au feu ; ils auront oublié quelques fâcheux détails d’un tableau véritablement grandiose ; ils se souviendront de la simple résignation de petits marchands de Paris ruinés sans se plaindre, de l’abondante libéralité de ses propriétaires et de son grand commerce, de la patience des pauvres femmes attendant la nourriture à la porte des mairies, du bon sens de ses ouvriers en face des excitations coupables, du courage de ses soldats. La province aura été forcée de rendre à Paris son estime ; le malheur nous aura à jamais réconciliés et unis. Une fois sortis de l’abîme, nous n’imiterons pas les naufragés qui se battent sur la plage avec les débris du navire ; hélas ! ce ne sera pas trop de toutes nos mains pour panser toutes nos plaies.

Augustin Cochin.