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de ces vaillans. Le récit qui va suivre est consacré à la mémoire de ces glorieux vaincus. On pourrait se demander, en lisant ces pages attristées, pourquoi une plume française a retracé ces douloureuses et navrantes images, si un sentiment fortifiant ne se dégageait de toutes ces douleurs. Regardons la vérité en face, nous ne pouvons qu’en être raffermis. Plus le mal fut grand, plus il importe de le réparer. La France, loin de se laisser abattre par le malheur, ne vient-elle point d’y puiser un sentiment de superbe énergie qui seule peut la sauver ?

I.

L’armée de Mac-Mahon, défaite à Reischofen et à Wœrth, s’était, par Sarrebourg et Nancy, repliée sur Châlons, oubliant de couper le tunnel de Saverne, qui eût arrêté plusieurs jours l’ennemi dans sa marche. La division Douay, dont le brave général Pellé avait pris le commandement à Wissembourg, descendait même pour se rallier jusqu’à Neufchâteau, et regagnait ensuite La Veuve et Le Mourmelon, où elle se reformait péniblement, comblant avec de jeunes recrues les vides faits par la mitraille dans les rangs des zouaves et des turcos. C’était un spectacle douloureux et pourtant superbe encore que celui de ces soldats qui, décimés par le fer, amaigris par les privations, brisés par la fatigue, les vêtemens en lambeaux, en grand nombre blessés, fuyaient l’ambulance, et ne demandaient qu’à combattre. À la vue de ces cuirassiers aux crânes enveloppés de linges, aux cuirasses bosselées par les biscaïens, on songeait à ces guerriers épiques, au trompette blessé de Géricault. Les mobiles de la Seine, campés dans la plaine crayeuse de Mourmelon, regardaient d’un œil attendri et respectueux ces hommes échappés aux combats meurtriers des premiers jours d’août, débris imposans de la plus énergique armée du monde, la vieille et légendaire armée d’Afrique.

Du reste, en voyant toutes ces troupes, grossies des corps d’armée venus de Lyon et de Belfort, se masser autour de Châlons et prendre position dans ces plaines et sur ces collines où la stratégie militaire française s’exerçait depuis plusieurs années à choisir des champs de manœuvres et de batailles simulées, personne ne doutait que Mac-Mahon ne livrât bientôt de ce côté un combat suprême. Nous avions pour nous la plus admirable et la plus redoutable situation. En effet, il semble que ces plaines où vint se briser Attila soient le champ de victoire de la France. Les blancs coteaux de la Champagne forment en ce lieu un amphithéâtre d’où notre artillerie, nombreuse, renouvelée, comptant plus de 400 canons et