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70 mitrailleuses, pouvait facilement écraser l’ennemi. Personne n’hésitait à croire que l’action décisive de cette guerre ne dût se livrer dans ces champs catalauniens que Jornandès nous montre ruisselans du sang des Huns.

Les soldats y comptaient d’ailleurs, et se préparaient à la lutte. Rangée en bataille, l’armée paraissait chaque jour attendre le choc de l’ennemi, qui s’avançait à marches forcées par la vallée de l’Aube. Les Prussiens, disait-on le 18 août, étaient entrés dans Troyes, ils occupaient Arcis, on entendait déjà le grondement de leurs canons dans la direction de Vitry. Une partie de l’armée du général de Failly abandonnait alors Vitry, et se repliait sur l’armée de Mac-Mahon. Blancs de poussière, écrasés de lassitude, ces malheureux soldats, musique en tête, traversaient Châlons en demandant à grands cris le combat et la vengeance de Forbach. Quelle que fût la violence du choc subi dans cette journée doublement néfaste du 6 août, l’espoir renaissait dans les âmes, et on ne songeait plus qu’à laver la tache imprimée au drapeau par les défaites de Spicheren et de Freischwiller.

Seuls, quelques officiers des grades inférieurs, de ceux qui, au péril de leur vie et l’épée au poing, avaient essayé de réparer par leur intrépidité personnelle l’incurie des généraux, — seuls, ces sacrifiés de la bataille et de l’histoire hochaient la tête et n’envisageaient point sans appréhension l’avenir. Ils voyaient les cadres détruits, les corps d’officiers terriblement réduits, incomplets, les chefs commander à un trop grand nombre de soldats et ne les tenant plus « dans la main ; » ils voyaient le désordre administratif mettre à néant les résolutions les plus fières et l’héroïsme le plus absolu. Tous n’en étaient pas moins décidés à faire leur devoir. On se fortifiait autour de Châlons, on envoyait à Paris la mobile de la Seine, qui n’était point assez exercée encore pour prendre part à la lutte. On s’attendait toutes les nuits à un échange de coups de feu entre les avant-postes et les uhlans du prince royal de Prusse. Aussi quel ne fut pas l’étonnement de l’armée et des habitans de Châlons lorsqu’on apprit qu’on abandonnait ce champ de bataille en quelque sorte classique pour se replier sur Reims ! En une journée, tout fut brûlé de ce qui faisait l’approvisionnement et le matériel du camp. Sur l’ordre du maréchal, on mit le feu aux fourrages qu’on ne pouvait emporter, aux baraquement, à ces sortes de blockhaus construits à Mourmelon depuis des années, et on se livra à cette œuvre de destruction avec tant de hâte qu’on ne prit pas le soin de garder les avoines et la paille, dont à Reims la cavalerie et les troupes manquèrent dès le lendemain.

Reims ne pouvait d’ailleurs être que la première étape d’une