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niface VIII, à propos de la compétition d’Albert d’Autriche et d’Adolphe de Nassau, avait élevé la prétention de choisir l’empereur. Du Bois, on le voit, ne se privait pas des argumens contradictoires. Tout à l’heure, quand les intérêts du roi de France étaient en cause, il soutenait énergiquement que le pape n’a aucun pouvoir sur le temporel ; maintenant il prête au pape le droit le plus exorbitant, celui de disposer de l’empire d’Allemagne et d’en changer la condition fondamentale. Dans le De abbreviatione et le De recuperatione, nous le voyons également, lui si ennemi des excommunications quand elles troublent sa profession d’homme de loi, trouver bon qu’on emploie ce moyen terrible pour le succès de ses plans. Ce fut là du reste une pratique constante chez les frères, fils et neveux de saint Louis. Qu’on se rappelle Charles d’Anjou, Charles de Valois, Philippe le Bel, Charobert. La papauté à cette époque paraît uniquement occupée à procurer des trônes à la maison de France, en prêchant la croisade et lançant l’excommunication contre tout ce qui fait obstacle à leur ambition, en supprimant les couronnes électives et les rendant héréditaires au profit de ses princes favoris. Et pourtant les coups les plus graves sont portés à la papauté par la maison de France. La politique de tous les temps se ressemble. N’a-t-on pas vu au commencement de notre siècle un souverain tenter de mettre la papauté dans sa main et en même temps lui supposer le pouvoir nécessaire pour l’acte d’autorité ecclésiastique le plus énorme qui soit mentionné dans l’histoire de l’église ? Aux yeux de Du Bois, le pape ne pouvait rien quand il était un Italien ennemi de la France ; il peut tout depuis qu’il est un Français, une créature du roi. Comment d’ailleurs le pape pourra-t-il résister quand on fera valoir auprès de lui les intérêts de la terre-sainte ? Une fois nommé empereur, le roi se mettra à la tête de la chrétienté et marchera sur Jérusalem par terre, comme le firent Charlemagne et Frédéric Barberousse. — Philippe ne paraît pas avoir donné suite à ce projet. Il se contenta de faire des démarches pour faciliter l’élection de son frère Charles de Valois.

Vers la même époque, Du Bois adressait au roi un nouveau mémoire de haute politique ; il s’agissait de faire créer en Orient un royaume pour son fils Philippe le Long. De la sorte, la maison de France eût été maîtresse à la fois de la chrétienté d’Orient et de l’église latine. Les biens des templiers eussent servi à la défense de ce nouvel empire, et les croisades, qui avaient ruiné l’Occident, fussent devenues inutiles.

On ne peut assister sans étonnement à l’éclosion de tant d’idées originales, pénétrantes, hardies, sortant si complètement de la routine du temps. Pierre Du Bois fut vraiment un politique. Le premier, il exprima avec netteté les maximes qui sous tous les grands