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« Les mobiles ont eu de l’entrain ! » Singulière expression dans des cas si graves ; on dirait qu’il s’agit de parties de plaisir. « Nous avons subi des pertes sérieuses, l’ennemi en a fait de plus considérables. » Le plus clair, c’est que, pour empêcher l’ennemi d’envahir toute la France, on le laisse se fortifier autour de Paris, et que nous arriverons trop tard au secours de Paris, si nous arrivons ! On vit au jour le jour sur les incidens de cette guerre de détails, c’est une sorte de calme relatif qu’on se reproche d’avoir, et qu’on ne peut pas goûter.

26 novembre.

Bonne lettre de Paris, c’est une joie en même temps qu’une douleur poignante. Ils demandent si nous allons à leur secours !… On dit qu’une action décisive est imminente. Il y a si longtemps qu’on le dit !

28.

Les insomnies sont dévorantes, on ne les compte plus. Après toutes mes veilles auprès de mes enfans malades au printemps, je pourrai me vanter de n’avoir guère dormi cette année. Tous ces bans qui se succèdent si rapidement me terrifient. On appelle les hommes mariés pour le 10 décembre. Plus on a de bras, plus on en demande ; c’est donc que la situation s’aggrave au lieu de s’améliorer !

29.

Départ de nos mobilisés par un temps triste comme nos âmes. Nous les attendons sur la route. Toute la ville les accompagne. Ils sont très décidés, très patriotes, très fiers. On s’embrasse, on rentre les larmes. Où vont-ils ? que deviendront-ils ? Ils ne le savent pas, ils sont prêts à tout. Il y a un reflux d’espoir et de dévoûment. On croit que le salut est encore possible. Je ne sais pourquoi mon espoir est faible et de courte durée. Je n’étais plus habituée à cette sombre disposition. Je la combats de mon mieux, et, comme tout le monde, je saisis avec ardeur la moindre lueur qui se montre ; mais quand elle s’efface, on retombe plus bas.

2 décembre.

Jour radieux au milieu de notre désespoir. Paris a fait, nous dit-on, une sortie magnifique, et l’armée de la Loire va vers Paris avec succès. On rêve déjà Paris débloqué, l’ennemi en déroute. Quel beau rêve ! ne nous éveillons pas. Laissez-nous, discoureurs officiels ! votre éloquence n’est pas à la hauteur des choses. C’est de la glace sur le feu. Il faudrait être si simple, au contraire ! Nos petites-filles nous voient heureux, elles se réjouissent de la prochaine délivrance de Paris, qu’elles n’ont jamais vu, mais qui est pour elles