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Il pouvait cependant arriver que l’un des deux adversaires eût recours à l’intervention publique et réclamât l’appui de ses semblables. Alors les chefs de famille de chaque canton, au nombre d’une centaine, se réunissaient pour former une sorte de jury autour d’un chef ou d’un président choisi par eux. C’était là ce qu’on appelait en langage germanique le mall, assemblée locale dont il est fait mention si fréquemment dans les chroniques et dans les codes ; mais les hommes qui composaient le mall étaient bien moins des juges que des arbitres. Il ne paraît pas qu’au moins à l’origine ils aient eu le droit de mander personne devant eux. Ils n’avaient pas de ministère public qui leur amenât les accusés ; aucun fonctionnaire ne se chargeait ni de préparer l’œuvre des juges par l’instruction préalable ni de produire les témoins. On ne se présentait devant eux qu’autant qu’on le voulait, et c’était à chaque partie d’y amener à ses risques et périls la partie adverse. Ce qu’on demandait à ce jury, c’était moins un acte de justice qu’un acte de médiation. Il est à remarquer en effet que l’intervention du mall pouvait être sollicitée aussi bien par l’offenseur que par l’offensé. Il pouvait arriver que ce fût le meurtrier lui-même qui assignât le fils de sa victime. C’est qu’en réalité il s’agissait non pas de justice, mais d’arbitrage. La mission de l’assemblée n’était pas de punir un crime, elle était seulement de se placer entre deux belligérans pour les réconcilier. À cet effet, elle devait se faire rendre compte des faits pour évaluer le tort qui avait été causé. Elle l’estimait en argent, et fixait l’indemnité que l’offenseur devait payer à l’offensé. Moyennant cette indemnité, l’offensé était contraint de se réconcilier avec son ennemi. C’est apparemment pour ce motif que l’indemnité s’appelait wehrgeld, c’est-à-dire argent de la guerre ou équivalent du droit de guerre. La taux en variait suivant la nature de l’offense, et aussi suivant le rang de la victime. Il était naturel en effet qu’une famille riche et puissante évaluât son droit de guerre à plus haut prix qu’une famille faible. Il est même probable qu’à l’origine les juges prenaient pour base de leurs calculs, non pas le mal qui avait été commis, mais le mal que la famille lésée était en état de rendre. Le wehrgeld n’était pas toujours payé au fils de la victime ; il l’était au chef de famille, c’est-à-dire à celui qui possédait le mundium ou le droit de patronage, et plus ce chef était élevé en puissance ou en dégouté, plus le wehrgeld était considérable. C’est en vertu de ce principe qu’au temps des Mérovingiens le meurtre d’un antrustion du roi donnait lieu à une indemnité triple de celle qui suffisait à payer le meurtre d’un simple homme libre. Outre le wehrgeld, l’offenseur devait payer à l’assemblée (plus tard au roi) un fredum ; cet argent de la paix n’était, selon toute