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Le conseil municipal élu s’était prononcé à une forte majorité pour le drapeau rouge, et la délégation de Tours avait accepté cet état de choses, paraît-il, jusqu’à ce que l’assemblée nationale en eût décidé autrement. Enhardi, le conseil municipal de Lyon mit sous le séquestre les propriétés mobilières et immobilières des congrégations religieuses de la ville, et fit défense à ces congrégations de se livrer plus longtemps à l’instruction des enfans. L’on pouvait croire que cette municipalité avait donné assez de gages à l’esprit révolutionnaire pour avoir l’assentiment des classes inférieures de la population. Il n’en était rien. À Lyon, comme dans plusieurs autres villes du midi, il fut amplement prouvé pendant cette crise que le pouvoir, si démocratique, si révolutionnaire qu’il soit, a toujours à côté et en face de lui une junte encore plus avancée, plus radicale et plus puissante. Nous n’avons assurément pas l’intention de présenter un tableau des excentricités qui se débitaient journellement dans les clubs de nos grandes villes du midi ; mais à Lyon les clubs étaient des pouvoirs effectifs, autant que les cordeliers ou les jacobins de notre première révolution. Il s’était formé un « comité central d’initiative révolutionnaire, démocratique et fédératif. » Son but, défini par une proclamation, était « d’organiser la défense nationale, de briser les résistances impies des déserteurs de la cause populaire, d’éveiller la fièvre du patriotisme, le sentiment altier de nos droits, de la dignité humaine, de la liberté, de la justice, etc. » Un des premiers actes de ce comité avait été d’organiser une réunion publique au palais Saint-Pierre, et d’ordonner à M. Andrieux, procureur de la république, d’y comparaître pour s’expliquer sur la mise en liberté du préfet impérial, M. Sencier. M. Andrieux eut l’imprudence de se rendre à cette sommation. Il essaya de se justifier ; on lui demanda de donner sa démission, qu’il refusa. Aussitôt on s’empare de sa personne, et on le conduit à l’hôtel de ville. Il fut, dit-on, remis en liberté deux heures après. La salle de la Rotonde dépassait de beaucoup les extravagances des Folies-Belleville ; elle avait surtout plus d’influence. Les membres de l’Association internationale des travailleurs, parmi lesquels un gentilhomme russe, M. Bakounine, y dominaient. Dans la réunion du 24 septembre, on y décidait « à l’unanimité du peuple » l’organisation hiérarchique et autoritaire de l’armée ; on y décrétait que, « tous les officiers nommés sous le régime bonapartiste et attachés à ce régime par leur intérêt et leur caractère ne pouvant être de sincères défenseurs de la république, les citoyens militaires avaient le droit et le devoir de déclarer eux-mêmes les officiers actuels déchus de leurs fonctions. » On ne peut s’étonner si de pareilles doctrines mirent la plus grande désorganisation dans l’armée de Lyon. Aussi les légions des mobilisés du Rhône se distinguèrent-elles par leur indiscipline ;