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commune, qui leur eût remboursé plus tard ces avances. C’était rétablir aux dépens des propriétaires ruraux la triste condition des curiales sous l’empire romain et celle des collecteurs d’impôts sous l’ancien régime. D’une manière détournée, c’était là un emprunt forcé sur les riches ou du moins sur les prétendus riches. De tels procédés devaient paraître séduisans à des hommes imbus de tous les préjugés révolutionnaires. Cependant la délégation de Tours, — l’on ne saurait trop l’en féliciter, — ne s’arrêta pas à ce plan. Elle résolut de contracter à l’étranger un emprunt en obligations remboursables dans un délai de trente ou quarante années. M. Laurier se rendit à Londres ; il traita avec la maison de banque Morgan, qui prit ferme la totalité de l’emprunt de 250 millions, à la condition qu’une souscription publique serait ouverte en France. L’on ne sait trop quelles furent les clauses du contrat avec les banquiers anglais ; mais elles durent être fort onéreuses, si on en juge par les offres faites aux souscripteurs. L’emprunt était émis en obligations 6 pour 100 au taux de 85 francs remboursables à 100 francs. En tenant compte des délais de paiement, c’était un placement à 7 1/2 pour 100. Cependant la souscription, ouverte le 27 octobre et close le 29 dans trois cent dix arrondissemens de France, ne produisit que 93,921,000 francs. Ainsi tel était le discrédit gouvernemental qu’un intérêt de 7 1/2 pour 100 ne parvenait pas à séduire nos capitaux ; la France ne manquait pourtant pas encore d’argent disponible. Le reste de l’emprunt, c’est-à-dire près des deux tiers, fut couvert en Angleterre. S’il faut en croire les révélations de l’étranger, la maison Morgan aurait acheté à l’état ces obligations au taux de 70 francs, c’est-à-dire qu’elle lui aurait demandé un intérêt de près de 9 pour 100. Nous ne savons si, dans la position irrégulière où était le gouvernement de Tours, il eût été facile de trouver des conditions meilleures ; mais ce fut un coup fatal porté au crédit de la France. Pour les émissions futures et prochaines de titres nationaux, ce sera toujours un précédent fâcheux qui produira une inévitable dépréciation. A l’heure qu’il est, l’emprunt de Tours est coté à Londres de 90 à 92 francs ; c’est encore près de 6 3/4 pour 100. Malgré les sommations des journaux, le gouvernement évita toujours de donner des explications précises sur le contrat passé avec la maison Morgan. Il n’appliqua nullement ce mot de M. Jules Favre : « nous sommes un gouvernement de publicité… » Une lettre de M. Laurier ne dissipa aucune des ténèbres qui enveloppaient cette affaire. Une note officielle énigmatique assura que l’emprunt avait été contracté sur l’avis unanime du conseil des finances et à des conditions meilleures que celles qu’il avait espérées. C’était la première et ce fut la dernière fois qu’on entendit parler de ce mystérieux conseil des finances,