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plus forte raison la pensée et la volonté. Plus la science expérimentale se développe, plus la différence se prononce entre ces deux ordres de phénomènes qu’on croyait pouvoir confondre, les organiques et les inorganiques, plus il ressort que les énergies de la vie et celles de la pierre ne peuvent être identifiées, même dans leur principe. Les monades qui engendrent les cellules sont supérieures à celles qui sommeillent dans le grain de sable, de même que la plus grossière portion d’animal est autrement compliquée que le cristal le plus admirable. Évidemment, si la forme, la personnalité, la pensée, la mémoire, la volonté, tout ce qui constitue la vie du moi et le moi de la vie persiste identique quand la matière des organes se renouvelle, c’est que la vie est dans un système d’activité différant essentiellement de l’étendue géométrique et de la masse pesante ; c’est qu’elle est le propre d’une substance qui assurément implique le physico-chimique, mais aussi tout autre chose.

Chaque monade, dit Leibniz, a son principe, son essence, sa loi, et n’est pas assujettie à la volonté d’impulsions extérieures. C’est le fond des doctrines sur la vie professées par M. Charles Robin. Au lieu d’admettre que le corps est gouverné par un principe vital coordinateur et directeur des mouvemens physiologiques, il considère que, grâce à un parfait accord en vertu duquel chaque substance, suivant ses propres lois, se rencontre dans ce que demandent les autres, les opérations de l’une suivent ou accompagnent l’opération de l’autre. Le développement des êtres vivans, consistant dans une accumulation progressive et déterminée d’élémens anatomiques, est expliqué, selon lui, non par une force qui les tient sous sa tutelle, mais par la manifestation successive, et en quelque sorte la révélation des substances élémentaires qui expriment la vie, chacune de ces substances devant apparaître lorsque se trouvent réunies les conditions nécessaires à son existence sensible.

Mais la vie est-elle partout dans le monde, comme le veut Leibniz ? Assurément, si l’on entend par vie la spontanéité de toutes choses, l’activité propre à toutes les monades. D’autre part, si l’on considère que toute portion quelconque de substance renferme virtuellement quelque aspiration à la vie, puisqu’elle est apte à entrer comme partie intégrante dans la constitution d’un être vivant, on pourra dire encore que tout vit ; seulement, si l’on exprime par ce mot les énergies spéciales du genre de la nutrition, de la sensibilité et de la volonté, alors il faut reconnaître que la vie n’appartient qu’aux substances organisées, c’est-à-dire à une catégorie de monades. Il y a sans doute dans les monades les plus infimes et les plus éloignées de la vie quelque tendance obscure vers un ordre déterminé ; mais il ne semble pas légitime jusqu’ici d’y voir une intention consciente. C’est plutôt par une sorte d’action réflexe que