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le chemin le plus court. Il ne faut plus compter sur les auberges ; une petite provision de farine, un peu de viande, quelques pains mis sur la voiture, doivent assurer les voyageurs contre la faim. On pénètre dans un pays couvert de collines, puis dans une région de volcans anciens qui se prolonge vers le couchant, et bientôt près d’un village on découvre des champs cultivés annonçant que le sol, formé en grande partie de la décomposition de roches basaltiques, est très fertile. Du reste pas un arbre, pas un arbrisseau sur cette terre ; de ce côté, la misère est si complète que des pies ont édifié le berceau de leur couvée à l’extrémité de grandes perches plantées près d’une habitation. On quitte le dernier village chinois ; les hauts plateaux sont occupés par des Mongols originaires de la Mantchourie, et sur les montagnes se dressent des autels élevés par les lamas. Tout à coup le paysage change d’aspect ; une vaste plaine s’étendant au loin, un lac de plusieurs lieues de longueur, avec les bords blanchis par une couche de natron, les tentes mongoles éparses, produisent un effet nouveau. Des antilopes à goitre, au nombre d’une trentaine, broutent l’herbe à peu de distance de la route sans se déranger à la vue de la petite caravane ; comme des animaux habitués à vivre en paix, elles ne songent pas à fuir. Nos voyageurs s’arrêtent près d’une sorte de hameau composé de quelques tentes et de trois ou quatre maisonnettes, et reçoivent des habitans le meilleur accueil : l’hospitalité est une vertu des Mongols. Une femme et ses deux jeunes fils, des enfans de dix à douze ans, déjà revêtus du costume des lamas, s’empressent d’allumer le feu pour préparer le repas.

La plaine est humide et salée ; les chameaux et les moutons paissent à côté des antilopes. L’es uns libres, mais à peine sauvages, les autres en état de domesticité, semblent jouir de la même indépendance. Les oiseaux, réunis en grand nombre, offrent un merveilleux tableau tel qu’il n’en existe jamais en Europe. On voit voleter la, belle calandre fauve aux ailes blanches ; l’alouette commune et l’alouette pispolette, des aigles et d’autres rapaces donnent la chasse aux sousliks, tout gentils quand ils se dressent sur les pattes de derrière pour regarder à l’entour ; des canards s’abattent sur le lac ; quelques grues demoiselles gracieusement empanachées forment un groupe charmant ; des outardes viennent se poser à terre ; le corbeau, le milan, le sacre, le goéland à manteau bleu, font partie de ce monde.

Au milieu de la plaine, le charretier s’égare par un chemin sans issue ; on marche au hasard avec l’espoir de rencontrer un habitant qui indiquera la bonne voie ; mais la solitude est complète et inspire bientôt la crainte d’errer longtemps encore. Enfin un vieil arbre rabougri est aperçu, le seul qu’on ait vu de la journée : c’est