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indifférent par idiotisme. — Non ! on n’a pas le droit de ne pas souffrir. Il faut savoir, il faudra se souvenir. Il faut tâcher de comprendre à travers les ténèbres dont on nous enveloppe systématiquement. À en croire les dépêches officielles, nous serions victorieux tous les jours et sur tous les points. Si nous avions tué tous les morts qu’on nous signale, il y a longtemps que l’armée prussienne serait détruite ; mais, à la fin de toutes les dépêches, on nous glisse comme un détail sans importance que nous avons perdu encore du terrain. Quel régime moral que le compte-rendu journalier de cette tuerie réciproque ! Il y a des mots atroces qui sont passés dans le style officiel : — nos pertes sont insignifiantes, — nos pertes sont peu considérables. Les jours de désastre, on nous dit avec une touchante émotion : nos pertes sont sensibles, mais pour nous consoler on ajoute que celles de l’ennemi sont sérieuses, et le pauvre monde, à l’affût des nouvelles, va se coucher content, l’imagination calmée par le rêve de ces cadavres qui jonchent la terre de France !

24 janvier.

Nos trois corps d’armée sont en retraite. Les Prussiens ont Tours, Le Mans ; ils auront bientôt toute la Loire. Ils paient cher leurs avantages, ils perdent beaucoup d’hommes. Qu’importe au roi Guillaume ? l’Allemagne lui en donnera d’autres. Il la consolera de tout avec le butin, l’Allemand est positif ; on y perd un frère, un fils, mais on reçoit une pendule, c’est une consolation.

Paris se bat, sorties héroïques désespérées. — Mon Dieu, mon Dieu ! nous assistons à cela. Nous avons donné, nous aussi, nos enfans et nos frères. Varus, qu’as-tu fait de nos légions ?

Encore une nomination honteuse dans les journaux ; l’impudeur est en progrès.

25 janvier.

Succès de Garibaldi à Dijon. Il y a là, je ne sais où, mais sous les ordres du héros de l’Italie, un autre Italien moins enfant, moins crédule, moins dupe de certains associés, le doux et intrépide Frapolli, grand-maître de la maçonnerie italienne, qui, dès le commencement de la guerre, est venu nous apporter sa science, son dévoûment, sa bravoure. Personne ne parle de lui, c’est à peine si un journal l’a nommé. Il n’a pas écrit une ligne, il ne s’est même pas rappelé à ses amis. Modeste, pur et humain comme Barbès, il agit et s’efface, — et il y a eu dans certains journaux des éloges pour de certains éhontés qu’on a nommés à de hauts grades en dépit des avertissemens de la presse mieux renseignée. Malheur ! tout est souillé, tout tombe en dissolution. Le mépris de l’opinion semble érigé en système.