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lérant, qui comprenait son siècle et l’aimait, Saint-Simon avait touché à la plupart des connaissances humaines sans aller au fond d’aucune ; il se contentait d’être en toute chose un amateur éclairé et intelligent ; Quand il connut Séguier, il étudiait les manuscrits de César et faisait des fouilles près de sa ville épiscopale pour y découvrir un volcan éteint. Séguier fut interrogé par lui à la fois comme antiquaire et comme naturaliste, et sa réponse ravit le docte évêque. Dès ce moment, leurs relations furent intimes. « Adiusias, lui écrivait Saint-Simon, il me semble qu’il y a vingt ans que j’ai l’honneur de vous connaître et de compter sur votre amitié. » Aussi lui écrivait-il à tout propos. Il le consultait sur les minéraux qu’il possédait et qu’il voulait classer, sur les antiquités qu’on découvrait dans son diocèse, sur les livres qu’il se proposait d’acheter, car il avait le goût des beaux ouvrages, et il formait une bibliothèque pour laquelle il avait des correspondans à Paris, à Londres, à Amsterdam et à Lucques. « Je veux, disait-il à Séguier, que cette bibliothèque d’Agde devienne non un amas, mais un très bon choix de livres excellens ; je veux qu’un amateur en y entrant puisse se croire dans un petit sanctuaire des sciences, y retrouver un bon tableau des connaissances humaines de tous les âges, et y faire sa prière à genoux, s’il en a la dévotion. » Parmi ces livres qu’il achetait et devant lesquels il voulait qu’on se mît à genoux, le bon évêque ne se faisait pas scrupule de placer l’Encyclopédie, il tenait d’autant plus à l’acquérir, qu’elle était alors interdite et qu’il était plus difficile de se la procurer. Saint-Simon n’était pas, comme le duc et pair son grand-oncle, attaché aux traditions, anciennes ; il avait au contraire le goût des nouveautés. Il s’éprenait de l’admiration la plus vive pour toutes les découvertes qu’il voyait faire. Il a le mérite surtout d’avoir deviné la direction nouvelle que la science allait prendre et les études auxquelles l’avenir était réservé. Il avait appris l’hébreu avec soin et effleuré les langues orientales ; il comprenait bien tout ce qu’on peut découvrir en étudiant le mécanisme et les lois du langage. L’ouvrage de Court de Gébelin sur le Monde primitif, où se trouvait un des premiers essais de grammaire comparée, quoiqu’il en vît les défauts, lui causa un plaisir très vif. Il accueillit avec plus de joie encore les beaux travaux d’Anquetil sur le Zend-Avesta. Ce vaillant érudit, qui avait bravé tant de dangers pour rapporter d’Orient les livres sacrés des Perses, vivait alors dans un grenier, presque sans pain, travaillant toujours à ses mémoires sur Zoroastre et apprenant le sanscrit pour comprendre les Védas, qui venaient d’arriver de l’Inde. L’évêque, quand il était à Paris, allait voir « cet affamé des sciences, » comme il l’appelait, et il prenait plaisir à s’entretenir avec lui de ses décou-