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que le franc-tireur le moins clairvoyant n’aurait pu se dispenser d’apercevoir à 500 mètres. La chasse devint l’occupation favorite des hôtes de Versailles : le dépôt de la mairie, visité chaque jour par les officiers de la suite du roi ou du prince royal, se dégarnit rapidement. Les Allemands du reste prouvèrent qu’ils étaient connaisseurs ; les fusils de peu de valeur furent restitués pour la plupart, les autres disparurent, et les princes eux-mêmes ne dédaignèrent pas de participer à ces emprunts forcés en s’appropriant les armes dont ils avaient pu apprécier le mérite.

Les réquisitions, d’abord assez modérées, prenaient, à mesure que l’occupation se prolongeait, des proportions plus larges et des formes plus étranges. Tel jour, l’intendance allemande sommait le conseil municipal d’avoir à livrer dans les vingt-quatre heures, sous peine d’amende et d’exécution militaire, 6,000 couvertures, 600 lits ou 2,000 paires de bottes ; le lendemain, son altesse royale le grand-duc de Bade réclamait 3 balais d’écurie, ou l’intendant de M. de Bismarck intimait au nom de son maître une autre réquisition plus burlesque encore, et dont l’original, déposé aux archives de la ville, est à la disposition des amateurs d’anecdotes et d’autographes.

La nomination d’un préfet de Seine-et-Oise, M. le comte de Brauchitsch, n’adoucit en rien les rigueurs du gouvernement militaire ; elle donna seulement aux exactions un caractère plus pratique et plus administratif. D’allures brusques et impérieuses, sans égard pour la dignité des autres, mais jaloux du respect qu’il croyait dû à son rang et à son mérite, le nouveau fonctionnaire débuta en condamnant à la prison et à l’amende les anciens chefs de service de la préfecture qui avaient refusé de reprendre leurs fonctions, et en menaçant de faire fusiller les curés et les maires dans toute commune où un soldat prussien serait maltraité. Ce fut la préface d’une longue suite de tracasseries, de vexations, de pillages plus ou moins déguisés dont la seule énumération remplirait un volume, et que rendait plus odieux encore la parodie des formes légales et du langage administratif. Nous choisissons entre mille un fait qui permettra d’apprécier les procédés des autorités allemandes. Dans le courant du mois d’octobre, le comte de Brauchitsch, plein de sollicitude pour les intérêts de ses administrés et de ses compatriotes, avait appelé l’attention du conseil municipal de Versailles sur la cherté croissante de certaines denrées, telles que le sel, le sucre, l’huile, le charbon, qui menaçaient de s’épuiser complètement. De concert avec un spéculateur assez connu à la Bourse de Paris par des opérations hasardeuses qui avaient fini par déterminer son expulsion, le préfet de Seine-