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et-Oise imagina une combinaison ingénieuse qui devait assurer les approvisionnemens. La ville organiserait sous sa responsabilité un magasin général où les commerçans viendraient puiser. L’associé de M. le comte de Brauchitsch s’engageait, moyennant une somme de 300,000 francs payables d’avance, à faire venir d’Allemagne les approvisionnemens nécessaires pour un mois, et à les renouveler aux mêmes conditions à mesure que les marchandises s’écouleraient.

La municipalité de Versailles devina le piège ; on temporisa. Sans contester le principe, on débattit les moyens d’exécution, et, à force de diplomatie, en exploitant l’hostilité qui régnait entre les autorités civiles et le parti militaire, on obtint qu’un syndicat de commerçans se chargerait de l’opération, ferait directement les achats, et veillerait à la répartition des marchandises. Forcé de souscrire à cet arrangement, mais blessé dans son amour-propre d’inventeur et peut-être dans ses intérêts, M. de Brauchitsch décréta que, si les approvisionnemens n’étaient pas complets le 25 décembre, la ville paierait une amende de 50,000 francs, qui serait portée à 125,000 francs au cas où le retard excéderait dix jours. Le syndicat s’organisa, les marchés furent conclus : les chemins de fer de l’Est, exploités par les Allemands, s’étaient chargés du transport ; des voitures étaient prêtes à partir pour Lagny dès que le convoi serait signalé. Contre toute attente, les jours s’écoulèrent, le délai expira, et les marchandises n’arrivèrent pas. Le préfet alors joue l’indignation, se plaint hautement de ce qu’il appelle un manque de foi, et somme la ville de verser immédiatement l’amende décrétée. Le conseil municipal s’assemble, et, au moment d’entrer en séance, il apprend que les marchandises sont retenues depuis huit jours au-delà de Châlons par ordre supérieur. Un vote unanime décida qu’on refuserait de céder devant un pareil abus de la force. Le lendemain, le maire de Versailles, M. Rameau, qui, par la dignité de son caractère et la fermeté de sa conduite, avait su imposer le respect même aux vainqueurs, était arrêté avec trois conseillers municipaux et jeté en prison comme un malfaiteur. La réprobation fut si universelle que les Allemands eux-mêmes se crurent forcés de rougir, et que le général commandant la place alla rendre visite aux prisonniers. Cinq jours après, ils étaient libres ; mais ce n’était point par un désaveu tardivement infligé au préfet prussien, c’était par une transaction arrachée au syndicat des commerçans. Pourvu que M. le comte de Brauchitsch touchât les 50,000 francs, peu lui importait de quelles mains il les recevait. Si l’on songe que l’autorité civile, si dignement représentée, se renforça successivement d’un préfet de police et d’un commissaire délégué près du gouvernement du nord, on devine par quelles épreuves dut passer