Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 92.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fallait par jour et même par mois ? Ce sont des fractions infinitésimales qui, pour chaque personne, pour chaque famille, n’ont pas d’importance, et qui, réunies et très nombreuses, finissent par faire un total très considérable. L’impôt du sel, après la réduction des deux tiers dont il a été l’objet en 1849, rapporte encore aujourd’hui 33 millions ; c’est un assez gros chiffre pour le trésor, et pour chaque individu dans notre pays c’est une dépense de moins de 1 fr., et de 3 fr. 50 cent, environ par famille de quatre personnes. On s’est plaint que cet impôt nuisait à certaines industries où le sel est de première nécessité, on a réclamé particulièrement pour la fromagerie. Or il résulte de la dernière enquête agricole que dans les Vosges la quantité de sel nécessaire pour 100 kilogrammes de fromage, qui valent de 70 à 100 francs, est de 1 kilogramme 1/2, que l’impôt grève de 15 centimes ; dans le Doubs, la quantité serait de 3 kilogrammes et la charge de 30 centimes. En ce qui concerne l’agriculture, il n’a pas été démontré non plus qu’elle eût un bien grand intérêt à consommer le sel en franchise. Aux deux signes que nous venons d’indiquer pour reconnaître un impôt mal établi, — réclamations qu’il soulève, fraude qu’il excite, — on peut en ajouter un troisième, c’est l’essor que prend la consommation de la matière imposée lorsque s’opère un dégrèvement sérieux. L’expérience qui a été faite depuis 1849 de la diminution des deux tiers du droit sur le sel est décisive sous ce rapport. En 1847, l’impôt du sel produisait 72 millions. La perte, eu égard à la consommation antérieure, a été de 40 millions. Aujourd’hui, après vingt-deux ans, elle est encore de 39 millions ; l’impôt du sel est porté au budget de 1871 pour 33 millions au lieu de 72. Si on tient compte de la franchise accordée à l’agriculture, qui peut priver le trésor de 3 ou 4 millions, on est à 35 millions de différence avec le chiffre de 1847. Que peut-on dire de plus significatif pour montrer que cet impôt est bien établi, ne gêne en rien la consommation ? Les exemples abondent pour prouver que l’allégement de l’impôt du sel n’a jamais produit d’autre effet que de priver le trésor d’une partie importante de ses ressources. Necker disait que sous l’ancien régime il n’y avait pas de différence dans la consommation du sel entre les provinces qui étaient taxées à 10 francs et celles qui l’étaient à 28 le quintal métrique. Il est constaté de plus que, pendant les douze années que cette denrée a cessé d’être imposée sous la première république, de 1793 à 1805, la consommation ne s’est presque pas élevée. Enfin en Angleterre, où le droit sur le sel a été aboli, la consommation ne s’est pas développée plus que lorsqu’il existait. On aura beau chercher à exciter les passions, on ne changera pas les faits ; on ne prouvera pas qu’il y ait pour les popula-